Vingt sept janvier
deux mil quinze. Une heure cinquante cinq.
Faire le classement.
AnneAnne,
Une joie de te
lire, lire tes petites phrases intenses, claires et belles.
Je lis tes conseils
et admire leur constance et leur lucidité.
Je m'efforcerai d'y
répondre, tout en constatant ma grande difficulté d'y faire face.
Datant de
l'enfance, j'ai une résistance à la chronologie, à apprendre l'alphabet et les
nombres, à feuilleter un dictionnaire, un annuaire, et à mémoriser les dates de
l’histoire.
Les dictionnaires
et annuaires parce que je devais passer par l'alphabet que je n'ai pu apprendre
jusqu'à la fin. A, B, C, mais qui se trouble à partir de P.
Je n’ai pas pu, non
plus mémoriser les tables de multiplications, les équations, les feuilles de
banque, les chiffres, numéros de ma carte d'identité et de la carte vitale.
Est-ce à écrire,
tous les moyens faits pour le classement, la mise en boîte, l'ordre.
J'ai imaginé la vie
sans cette enfermement, une vie sans passée ni futur.
Être contemporain,
de l'homme des cavernes, de mes arrières grands-parents, de mes parents. Je ne
peux pas écrire de mes enfants car je n'ai pas eu d'enfants.
J’ai imaginé que
j’aurais trouvé ce sentiment de contemporanéité et de continuité en tenant la
main de mon propre enfant.
La pensée, dans ce
contact, la main du fils dans la main du père qui lui – même a été fils. Une
chaîne de mains placées l’une dans l’autre. Une grande et une petite. Pour moi,
ce contact est l’Histoire. Sans enfant, je ne sens pas la continuité du
temps.
L'art contient
cette puissance de nous rendre contemporains de la peinture des cavernes aux
peintures modernes. Contemporains aussi de la musique de toutes les époques. Selon
moi, l'émotion ne peut se dater, nous n'avons pas besoin de savoir les dates
pour rire, sourire et pleurer.
Deux heures
quarante cinq.
J'ai commencé à
faire depuis deux ou trois ans, mes tableaux chronologiques, à chercher dans
mes archives toutes les indications qui ont pu aider à reconstruire ma mémoire.
Je suis content de
lire dans ton dernier courriel, ta pensée qui renforce ma pensée.
Cette pensée qui a
fait commencer cette recherche.
Deux heures
cinquante cinq.
AnneAnne,
Une pensée m'est
venue pour que tu puisses économiser tes yeux.
Est-ce qu'il te
serait possible de faire lire mes courriels par Salomé ?
Une pensée qui m'a
fait sourire. J’espère qu'elle te fera aussi sourire.
Merci de m'écrire
malgré tes difficultés.
Je t'envoie avec la
force de l'amitié ma reconnaissance. Connaître, naître à nouveau.
Ychaï.
Trois heures cinq.
Un courriel avec un
tout petit peu d'histoires.
Roger Bénichou-Ychaï
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