mardi 20 septembre 2016

15 mai 2015 Roger


Quinze mai deux mil quinze. Quatre heures vingt six.

AnneAnne,
As-tu vu ton technicien des yeux ?
Comment te portes-tu ? Se porter porte ouvert fermer se fermer s’ouvrir
Comment vas-tu ? Aller, marcher.
The Microsoft Word commence à l’heure actuelle, quatre heures trente et une, à m’emmerder.

J’ai eu des problèmes depuis plus de vingt ans avec le son d'une voyelle, le « E ». Je travaille avec une personne dont le nom fini par « ER ». J’ai transcrit en « EUR ». 
Les envois de mail à cette personne me revenaient. Google n’ayant pas encore appris à ses machines à différencier l’oral de l’écrit. J’avais transcrit « ER » par « EUR ».
J’ai cherché pendant des années à comprendre pourquoi, malgré mes demandes à cette  personne qui, à chaque fois, m’écrivait un petit papier avec son adresse mail, les courriels me revenaient. Après tout ce temps passé, j’ai résolu cette énigme avec l’aide de Jon. Il y a quinze jours, redemandant encore une fois par écrit l’adresse du courriel de cette personne, je soumettais ce papier à Jonathan qui me fit remarquer que le nom s’écrivait « ER » et non « EUR ». Ayant corrigé les écritures sur le service Google, j’ai pu respirer et sortir de l’angoisse de la lecture.
Après cette grande leçon, je suis tombé dans une analyse profonde de mon fonctionnement. Mon cerveau fonctionnant à très grande vitesse enregistre et se persuade de la véracité des informations que je reçois. Je transcris ces informations contenant ces erreurs en pensant qu’elles sont vraies et ne me remets plus en question.
Je ne corrige pas le lien entre l’oral et l’écrit et continue de m’étonner des réactions de Google. Je ne lis pas attentivement pour déceler l’erreur, étant persuadé que je lis « ER » dans une adresse écrite « EUR ».
J’avais l’impression que Google était dans son tort alors que, c’est mon cerveau qui répète le même cliché, la même répétition inconsciente.
« EUR » au lieu de « ER ».
J’apprends ainsi à me remettre en question. Je traque tous les clichés que le langage, l’éducation, la croyance dans les mots entendus ou lus, sont enregistrées dans les mémoires. Comme ma mémoire est surtout affective, ces mots se gravent parce qu’ils viennent des personnes aimées.
Pendant plus de vingt ans, je crois que je lis « ER » alors qu’il est écrit « EUR ».
De nombreux mots et de clichés faux sont ainsi parqués dans ma mémoire. Ils m’ont empêché de vivre et d’approcher des êtres, des livres, des artistes.
Mes critiques et les critiques lues ou entendues, mes jugements hâtifs ont fermé les portes. Il m’a fallu des années pour comprendre que j’étais passé à côté de…

Tony Gatlif
Ma rencontre avec Frédérique H. rencontré à la « Schola Cantorum », s’est transformée en vie commune au dix neuf rue des Blancs-Manteaux. A sa demande, nous avons déménagé pour vivre avec ses amis Tony Gatlif et Marie-Thérèse G. dans une petite maison à Maisons Laffitte.
Le matin, je passais beaucoup de temps à boire du café dans la cuisine, en écoutant Tony Gatlif raconter ses rêves et développer ses projets cinématographiques. Il était étudiant dans une école de théâtre, voulait être metteur en scène. C’est dans cette école qu’il rencontra Frédérique H.
Ils habitaient Saint Germain en Laye.
Il me raconta son enfance algérienne, ses ascendances tziganes et arabes, les films qu’il voulait réaliser, et ses désirs d’acteurs.
Etant plongé dans mes propres angoisses de réalisation artistique et autres, mon oreille était critique et n’accordait pas aux propos de Tony Gatlif un futur.
Je me suis trompé gravement. J’ai commis des erreurs de jugements maintes et maintes fois.
Trente ans après, dans un de mes voyages à Paris, j’ai revu Tony Gatlif dans un café de la place St- Michel.
Il m’a raconté comment il a monté dans un de ses films, mes comportements dans cette cuisine de Maisons-Laffitte.
A sa demande, j’avais composé la musique deux chansons pour un de ses premiers films, Frédérique H. ayant écrit les paroles.
J’ai retrouvé dernièrement les partitions.
Ce petit texte pour illustrer le fonctionnement de mon cerveau, pour pouvoir étoffer ce récit.
Cinq heures vingt quatre.
AnneAnne,
Je termine ce courriel, non pas parce que je le veux, mais parce que je suis emmerdé par Microsoft Word.
Je pense à toi, vraiment. Pensées nouvelles, fraîches comme les fleurs de jasmin plantées sur mon balcon. J’enverrai des photos progressives de son épanouissement. Jasmin et autres fleurs plantées dont je ne sais pas les noms. Il y a même un chou.
Je t’embrasse les bras tendus et bientôt rafraîchis parce le jour se levant, je vais sur le balcon.

Ychaï

Roger Bénichou-YchaÏ


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