Quinze décembre
deux mil quatorze à dix neuf heures vingt cinq. Déjà.
Histoires de tout
et de presque rien, tout en restant importantes.
AnneAnne,
Giflé par ton
courriel, une gifle qui colore ma joue en rouge avec aussi le rouge de la
pudeur de mon émotion (couleurs).
J'ai rêvé pour
Salomé, de lui mettre des petites marionnettes en laine sur le bout des doigts.
J'en avais trouvé à Paris dans un petit magasin de la rue du Temple.
Est – ce une façon
de transformer la douleur en plaisir ? La douleur de son mal, transformée
en scène de théâtre.
Lui raconter des
histoires en habillant ses doigts malades de petits bouts de laine,
représentant un agneau, une fée, un lapin.
Dans ce petit
magasin, dont la surface est d’environ un mètre carré, une délicieuse jeune
femme tricotait ces merveilles.
Je me suis vu ou je
t'ai vue, mettre ces petites formes, silhouettes…..à chaque doigt dont l'ongle
était parti.
Lui raconter des
histoires de fées et de magiciens qui font disparaître et apparaître un lapin
ou un œuf, (un ongle bientôt).
J'écrirai quand tu
seras à la campagne, en sachant qu'il te faudra beaucoup de temps pour me lire
à ton retour. Peut-être, je prendrai ce temps pour mieux écrire.
Il me faut plus de
temps, je mélange les lettres, oublie les mots qui devraient suivre, me lire en
oubliant ce que j'ai lu… Effets secondaires du Trazodone HCI cinquante milligrammes.
Je pense
sérieusement à chercher et à acheter ce logiciel qui retranscrit mes mots en
lettres et phrases. Très bientôt…
Je m’énerve en
regardant ce qui sort de mes doigts et en constatant une dégradation de ma
dyslexie et des autres choses.
Je rêve d’un
logiciel qui me permettrait de parler dans le micro. Le micro parle à
l'ordinateur, l'ordinateur écrit les mots. Il ne me resterait qu'à « copier
– coller » en relisant un peu. Avec cette aide technologique, je pourrais
rêver, parler, parler encore, faire et construire mes phrases, de nouveau, choisir
de les garder ou de les effacer avec leurs modifications, oui ou non, les transformer,
les reformer…
Très bientôt,
bientôt.
Je souhaite lire et
savoir les résultats de ton rendez – vous avec ton ostéopathe. Celui qui
habite, à côté de l’endroit où tu es en ce moment. Celui, selon ce que tu as
écrit dans l’un de tes derniers courriels, qui, même sans le voir, te donne de
l'énergie.
Le fil de l’amitié.
André H.
Je suis allé voir André.
J'ai passé une heure et demie avec lui. J'ai pris l'autobus numéro cinq, qui
m’amena de ma porte à sa porte. Je l'ai trouvé en train de lire. Il a beaucoup maigri.
J'ai commencé à lui
demander de préciser quand il a été opéré de l'appendicite. J’avais oublié la
date exacte. Mil neuf cent cinquante huit ?
Je me questionne
pour savoir quand dater le départ du récit de la vie d’André. Année par année ?
Son arrivée à Paris, en mil neuf cent cinquante sept, notre rencontre à la rue
Guy Patin, le Conservatoire National de Musique.
Mon cousin Louis F.
enseigne actuellement dans les mêmes lieux qu’André a fréquentés il y a plus de
quarante ans. Il y a fait ses études avec Olivier Messiaen et Darius Milhaud.
Comment raconter les
angoisses d’André H., ses recherches de boulot, les films dont il a composé la
musique. Il a composé la musique de deux films, mis en scène par Burt K., un troisième
film sur la vie des tziganes avec Jean Shmitt.
J'écris en vrac, ce
que je peux me rappeler de ses récits.
L'arrivée de Miki E.
à Paris en mil neuf cent soixante trois.
L'arrivée de Dadou et
de sa famille, fuyant la Tunisie à cause des événements de Bizerte en mil neuf
cent soixante et un.
Le séjour d’André
H., deux années de suite comme professeur de composition au conservatoire de
Tunis. Dadou N. lui ayant prêté la villa de famille à Sidi Bou Saïd, village
tunisien devenu célèbre et connu par les séjours de Michel Foucault, qui avait
établi sa retraite dans ce lieu pour écrire ses livres.
Ce village connu aussi
avec son « Café des Nattes ».
J’ai été voir chez
André H. des photos et en choisir quelques unes pour la chronologie.
Nous avons parlé
sur son arrivée en Israël en mil neuf cent soixante six. Son choix avait été
guidé par l'amitié, la reconnaissance humaine. Il a trouvé dans ce pays à
réaliser ses potentialités musicales et religieuses. Il m’a souvent raconté
comment la ville de Paris avait été dure pour lui, en tant que compositeur et
exilé.
Il a reçu, il y a
quelques années, le prix d'Israël pour son œuvre musicale.
Durant l’année mil
neuf cent soixante cinq, à Paris, je devins l'amant de Lenke S., amie de Hedi
T., artiste tapissière. Leur rencontre s’effectua dans l’école d’arts qu’elles
avaient fréquentée. Lenke S. avait enfin reçu son passeport pour sortir de
Hongrie. Je l'ai accueillie à son arrivée à Paris et je l’ai emmenée dans la
maison de la mère de Dadou.
Nous nous sommes
rejoints intimement.
Naturellement,
j’étais désinhibé, car j’avais connu Lenke S. lors de mes séjours à Budapest.
Malgré l'amour qui
nous portait, nous avons du lutter contre les punaises de lit, qui
proliféraient dans l’appartement de Mamina, mère de Dadou.
J'ai vécu avec Lenke
plus d'un an. J'ai voulu me marier avec elle.
André H. et Akos S.
ont empêché mon désir, ainsi que d’autres personnes. J’en suis triste encore.
J’avais connu Akos
S. à Budapest grâce à mon amitié avec Miki. Akos S. avait réussi à sortir de la
Hongrie. Le récit sera fait plus tard.
Comment raconter mes
séjours avec André H. en tant qu'assistant de musique, dans le camp de vacances
à Anglet, dirigé par Tante Ida, femme rescapée des camps. André y a fait trois
séjours, trois ans de suite, l'été pendant trois mois.
Je n'y ai été que
deux fois, en mil neuf cent cinquante huit et mil neuf cent soixante.
André avait connu
Femia dans cette colonie de vacances. Elle était née en Hollande. Sa mère avait
sauvé des enfants juifs dans la même organisation où Tante Ida aussi
s‘activait.
Il a été très
amoureux de Femia et voulait se marier avec elle. Il a voyagé de nombreuses fois
à Amsterdam pour la rencontrer. Femia, ne voulant pas d'enfant, par peur de leur
transmettre la maladie grave que sa mère avait, a dissuadé André H. de
l'épouser. André avait vingt neuf ans. Femia lui avait fait découvrir et avait ouvert
sa sexualité.
André H. avait fait
une analyse, pseudo – psychanalytique avec Madame St., psychanalyste non traditionnelle.
Hedi T. nous disait
qu’il n’a jamais fini son analyse. Mais grâce à Madame St., il a composé une
œuvre d'orchestre, « Petit Enfer ». Je l'ai entendue plusieurs fois
dans des concerts. Cette œuvre, « Petit Enfer », a servi de payement
aux honoraires de Madame St.
André H. a retracé
le trajet de toutes les connections qui l'ont conduit à Tante Ida. Gyorgy
Kurtag, son ami compositeur un peu plus âgé, rencontré pendant ses études au
conservatoire de Budapest. Une longue amitié concurrentielle.
Kurtag, encore
vivant, âgé de plus de quatre vingt dix ans, est considéré comme l'un des plus
grands compositeurs européens, mondialement connu. Il vit en France, tout en
résidant aussi en Hongrie.
Il est en contact
téléphonique au moins deux fois par semaines avec André H.
J'ai écouté
dernièrement, un de ses concerts, enregistré à la Cité de la Musique, à quatre
mains sur un seul piano, ses deux mains et les deux autres, celle de sa femme
Marta.
André H. était
aussi le grand ami de Georgy Ligeti, qui avait fui la Hongrie pour s’installer
en Allemagne. Il est mort il y a plusieurs années. Georgy Ligeti a commencé à
devenir mondialement connu en composant la musique du film de Stanley Kubrick
« l’Odyssée de l’Espace ».
L’image qui m’a le
plus frappé, c’est le moment où le singe comprend qu’un os peut servir d’outil.
Un outil qui en même temps peut aider et agresser. L’os servit à ce singe à
comprendre sa puissance et manifester sa violence.
André H. téléphone
à sa femme de temps en temps.
Notre vie ensemble,
avec André H., rue Poissonnière, au numéro vingt six. André avait son
appartement au deuxième étage. Nous habitions, avec Lenke S., dans une chambre
de bonne au septième étage du même immeuble.
Mil neuf cent
soixante cinq. Après ma séparation d’avec Lenke S., j'ai vécu dans un studio,
même rue, même numéro mais dans le premier immeuble. Cet immeuble avait les
fenêtres sur la rue, celui d'André H. sur la cour.
Lenke S. est morte
dans un accident de voiture en Hongrie.
L’annonce de sa
mort, je l’ai apprise de la bouche de Hedi T.
André H. a aidé à
actualiser un souvenir que j’avais oublié. Le voyage où je l'avais conduit
jusqu'à la frontière hollandaise. Il devait participer à un congrès
d'intellectuels hongrois.
Raconter mon voyage
à Rome en auto-stop où l’équipe de Burt K. résidait pour terminer le montage du
film. Ce film avait été tourné à Hydra, île de Grèce. André H. devait composer
la musique qui fut dirigée par Petit-Girard. C’était le frère de Kr.,
compositeur passionné par les philosophies orientales et par Gurdjief.
Si cela
t’intéresse, tu peux prendre plus d’informations sur Youtube et Wikipedia. Kr.
avait collectionné des gongs sur lesquels il jouait pendant des heures. Je ne
sais pas s’il fait encore partie des disciples de Gurdjief.
O. fait aussi
partie de cet enseignement. J’ai fait des concerts avec O. en mil neuf cent
quatre vingt deux, quelques mois après mon arrivée en Israël, continuant à
jouer mes arrangements sur les mélodies judéo – espagnoles.
AnneAnne,
Je fais une petite
pause pour manger mes épinards aux œufs. Je reprendrai dans la nuit. Un peu de
repos clarifiera ma tête.
J'espère que vous
ne serez pas déjà partis à la campagne.
Je chercherai le
logiciel de paroles.
Je ferme les yeux
pour me concentrer sur ta route, je vais regarder Google Map.
Surtout, pour
porter mon attention et concentrer l'énergie sur l’émotion amicale, fraîche
toujours. Regarder cette énergie comme une cascade, celle de la vidéo, que tu
m’as envoyée hier.
Admirer la chute d’eau
et sa musique. Chute dans ma profondeur d'ami.
Ychaï,
Je ne sais pas
pourquoi j'ai signé Roger hier. Ce n’est pas mon habitude d’employer
« Roger » comme signature de mes courriels avec toi. J'accuse le
tramozone HCI.
Vingt et une heures
pile. Avec la correction vingt et une heures vingt cinq.
Je veux écrire
scientifiquement !
Roger Bénichou-YchaÏ
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