lundi 5 septembre 2016

16 decembre 2014 Roger 2

Quinze décembre deux mil quatorze à dix neuf heures vingt cinq. Déjà.

Histoires de tout et de presque rien, tout en restant importantes.

AnneAnne,

Giflé par ton courriel, une gifle qui colore ma joue en rouge avec aussi le rouge de la pudeur de mon émotion (couleurs).
J'ai rêvé pour Salomé, de lui mettre des petites marionnettes en laine sur le bout des doigts. J'en avais trouvé à Paris dans un petit magasin de la rue du Temple.
Est – ce une façon de transformer la douleur en plaisir ? La douleur de son mal, transformée en scène de théâtre.
Lui raconter des histoires en habillant ses doigts malades de petits bouts de laine, représentant un agneau, une fée, un lapin.
Dans ce petit magasin, dont la surface est d’environ un mètre carré, une délicieuse jeune femme tricotait ces merveilles.
Je me suis vu ou je t'ai vue, mettre ces petites formes, silhouettes…..à chaque doigt dont l'ongle était parti.
Lui raconter des histoires de fées et de magiciens qui font disparaître et apparaître un lapin ou un œuf, (un ongle bientôt).
J'écrirai quand tu seras à la campagne, en sachant qu'il te faudra beaucoup de temps pour me lire à ton retour. Peut-être, je prendrai ce temps pour mieux écrire.
Il me faut plus de temps, je mélange les lettres, oublie les mots qui devraient suivre, me lire en oubliant ce que j'ai lu… Effets secondaires du Trazodone HCI cinquante milligrammes.
Je pense sérieusement à chercher et à acheter ce logiciel qui retranscrit mes mots en lettres et phrases. Très bientôt…
Je m’énerve en regardant ce qui sort de mes doigts et en constatant une dégradation de ma dyslexie et des autres choses.
Je rêve d’un logiciel qui me permettrait de parler dans le micro. Le micro parle à l'ordinateur, l'ordinateur écrit les mots. Il ne me resterait qu'à « copier – coller » en relisant un peu. Avec cette aide technologique, je pourrais rêver, parler, parler encore, faire et construire mes phrases, de nouveau, choisir de les garder ou de les effacer avec leurs modifications, oui ou non, les transformer, les reformer…
Très bientôt, bientôt.
Je souhaite lire et savoir les résultats de ton rendez – vous avec ton ostéopathe. Celui qui habite, à côté de l’endroit où tu es en ce moment. Celui, selon ce que tu as écrit dans l’un de tes derniers courriels, qui, même sans le voir, te donne de l'énergie.
Le fil de l’amitié. André H.
Je suis allé voir André. J'ai passé une heure et demie avec lui. J'ai pris l'autobus numéro cinq, qui m’amena de ma porte à sa porte. Je l'ai trouvé en train de lire. Il a beaucoup maigri.
J'ai commencé à lui demander de préciser quand il a été opéré de l'appendicite. J’avais oublié la date exacte. Mil neuf cent cinquante huit ?
Je me questionne pour savoir quand dater le départ du récit de la vie d’André. Année par année ? Son arrivée à Paris, en mil neuf cent cinquante sept, notre rencontre à la rue Guy Patin, le Conservatoire National de Musique.
Mon cousin Louis F. enseigne actuellement dans les mêmes lieux qu’André a fréquentés il y a plus de quarante ans. Il y a fait ses études avec Olivier Messiaen et Darius Milhaud.
Comment raconter les angoisses d’André H., ses recherches de boulot, les films dont il a composé la musique. Il a composé la musique de deux films, mis en scène par Burt K., un troisième film sur la vie des tziganes avec Jean Shmitt.
J'écris en vrac, ce que je peux me rappeler de ses récits.
L'arrivée de Miki E. à Paris en mil neuf cent soixante trois.
L'arrivée de Dadou et de sa famille, fuyant la Tunisie à cause des événements de Bizerte en mil neuf cent soixante et un.
Le séjour d’André H., deux années de suite comme professeur de composition au conservatoire de Tunis. Dadou N. lui ayant prêté la villa de famille à Sidi Bou Saïd, village tunisien devenu célèbre et connu par les séjours de Michel Foucault, qui avait établi sa retraite dans ce lieu pour écrire ses livres.
Ce village connu aussi avec son « Café des Nattes ».
J’ai été voir chez André H. des photos et en choisir quelques unes pour la chronologie.
Nous avons parlé sur son arrivée en Israël en mil neuf cent soixante six. Son choix avait été guidé par l'amitié, la reconnaissance humaine. Il a trouvé dans ce pays à réaliser ses potentialités musicales et religieuses. Il m’a souvent raconté comment la ville de Paris avait été dure pour lui, en tant que compositeur et exilé.
Il a reçu, il y a quelques années, le prix d'Israël pour son œuvre musicale.
Durant l’année mil neuf cent soixante cinq, à Paris, je devins l'amant de Lenke S., amie de Hedi T., artiste tapissière. Leur rencontre s’effectua dans l’école d’arts qu’elles avaient fréquentée. Lenke S. avait enfin reçu son passeport pour sortir de Hongrie. Je l'ai accueillie à son arrivée à Paris et je l’ai emmenée dans la maison de la mère de Dadou.
Nous nous sommes rejoints intimement.
Naturellement, j’étais désinhibé, car j’avais connu Lenke S. lors de mes séjours à Budapest.
Malgré l'amour qui nous portait, nous avons du lutter contre les punaises de lit, qui proliféraient dans l’appartement de Mamina, mère de Dadou.
J'ai vécu avec Lenke plus d'un an. J'ai voulu me marier avec elle.
André H. et Akos S. ont empêché mon désir, ainsi que d’autres personnes. J’en suis triste encore.
J’avais connu Akos S. à Budapest grâce à mon amitié avec Miki. Akos S. avait réussi à sortir de la Hongrie. Le récit sera fait plus tard.
Comment raconter mes séjours avec André H. en tant qu'assistant de musique, dans le camp de vacances à Anglet, dirigé par Tante Ida, femme rescapée des camps. André y a fait trois séjours, trois ans de suite, l'été pendant trois mois.
Je n'y ai été que deux fois, en mil neuf cent cinquante huit et mil neuf cent soixante.
André avait connu Femia dans cette colonie de vacances. Elle était née en Hollande. Sa mère avait sauvé des enfants juifs dans la même organisation où Tante Ida aussi s‘activait.
Il a été très amoureux de Femia et voulait se marier avec elle. Il a voyagé de nombreuses fois à Amsterdam pour la rencontrer. Femia, ne voulant pas d'enfant, par peur de leur transmettre la maladie grave que sa mère avait, a dissuadé André H. de l'épouser. André avait vingt neuf ans. Femia lui avait fait découvrir et avait ouvert sa sexualité.
André H. avait fait une analyse, pseudo – psychanalytique avec Madame St., psychanalyste non traditionnelle.
Hedi T. nous disait qu’il n’a jamais fini son analyse. Mais grâce à Madame St., il a composé une œuvre d'orchestre, « Petit Enfer ». Je l'ai entendue plusieurs fois dans des concerts. Cette œuvre, « Petit Enfer », a servi de payement aux honoraires de Madame St.
André H. a retracé le trajet de toutes les connections qui l'ont conduit à Tante Ida. Gyorgy Kurtag, son ami compositeur un peu plus âgé, rencontré pendant ses études au conservatoire de Budapest. Une longue amitié concurrentielle.
Kurtag, encore vivant, âgé de plus de quatre vingt dix ans, est considéré comme l'un des plus grands compositeurs européens, mondialement connu. Il vit en France, tout en résidant aussi en Hongrie.
Il est en contact téléphonique au moins deux fois par semaines avec André H.
J'ai écouté dernièrement, un de ses concerts, enregistré à la Cité de la Musique, à quatre mains sur un seul piano, ses deux mains et les deux autres, celle de sa femme Marta.
André H. était aussi le grand ami de Georgy Ligeti, qui avait fui la Hongrie pour s’installer en Allemagne. Il est mort il y a plusieurs années. Georgy Ligeti a commencé à devenir mondialement connu en composant la musique du film de Stanley Kubrick « l’Odyssée de l’Espace ».
L’image qui m’a le plus frappé, c’est le moment où le singe comprend qu’un os peut servir d’outil. Un outil qui en même temps peut aider et agresser. L’os servit à ce singe à comprendre sa puissance et manifester sa violence.
André H. téléphone à sa femme de temps en temps.
Notre vie ensemble, avec André H., rue Poissonnière, au numéro vingt six. André avait son appartement au deuxième étage. Nous habitions, avec Lenke S., dans une chambre de bonne au septième étage du même immeuble.
Mil neuf cent soixante cinq. Après ma séparation d’avec Lenke S., j'ai vécu dans un studio, même rue, même numéro mais dans le premier immeuble. Cet immeuble avait les fenêtres sur la rue, celui d'André H. sur la cour.
Lenke S. est morte dans un accident de voiture en Hongrie.
L’annonce de sa mort, je l’ai apprise de la bouche de Hedi T.
André H. a aidé à actualiser un souvenir que j’avais oublié. Le voyage où je l'avais conduit jusqu'à la frontière hollandaise. Il devait participer à un congrès d'intellectuels hongrois.
Raconter mon voyage à Rome en auto-stop où l’équipe de Burt K. résidait pour terminer le montage du film. Ce film avait été tourné à Hydra, île de Grèce. André H. devait composer la musique qui fut dirigée par Petit-Girard. C’était le frère de Kr., compositeur passionné par les philosophies orientales et par Gurdjief.
Si cela t’intéresse, tu peux prendre plus d’informations sur Youtube et Wikipedia. Kr. avait collectionné des gongs sur lesquels il jouait pendant des heures. Je ne sais pas s’il fait encore partie des disciples de Gurdjief.
O. fait aussi partie de cet enseignement. J’ai fait des concerts avec O. en mil neuf cent quatre vingt deux, quelques mois après mon arrivée en Israël, continuant à jouer mes arrangements sur les mélodies judéo – espagnoles. 
AnneAnne,
Je fais une petite pause pour manger mes épinards aux œufs. Je reprendrai dans la nuit. Un peu de repos clarifiera ma tête.
J'espère que vous ne serez pas déjà partis à la campagne.
Je chercherai le logiciel de paroles.
Je ferme les yeux pour me concentrer sur ta route, je vais regarder Google Map.
Surtout, pour porter mon attention et concentrer l'énergie sur l’émotion amicale, fraîche toujours. Regarder cette énergie comme une cascade, celle de la vidéo, que tu m’as envoyée hier.
Admirer la chute d’eau et sa musique. Chute dans ma profondeur d'ami.
Ychaï,
Je ne sais pas pourquoi j'ai signé Roger hier. Ce n’est pas mon habitude d’employer « Roger » comme signature de mes courriels avec toi. J'accuse le tramozone HCI.
Vingt et une heures pile. Avec la correction vingt et une heures vingt cinq.
Je veux écrire scientifiquement !


Roger Bénichou-YchaÏ


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