Treize mai deux mil quinze. Huit heures cinquante six.
AnneAnne,
Recevoir ton courriel m’a rendu très heureux. Cette
joie n’a pas diminué en lisant tes récits de carambolage.
J’avais déjà suivi tes conseils avant de te lire, lire
tes conseils m’ont aussi rendu heureux.
Les conseils que tu as écrits sont exactement les
conseils que je me suis donné.
As-tu lu mon dialogue avec le docteur L. ?
J’ai repris mon ancien clavier et j’écris sur
l’ordinateur et non sur la tablette. J’écris donc avec mes plusieurs doigts.
J’écris pour te faire plaisir sur le « Microsoft
Word ».
Mon neveu Net, celui qui est très lent mais très
gentil, a enfin pris la boîte de mon ancien ordinateur pour me réinstaller « Ubuntu ».
J’apprends à avoir de la patience.
J’espère pouvoir t’envoyer bientôt la première page de
la chronologie.
Je suis excité, mon corps me démange et les
crispations sont toujours à l’affût. Je dors bien entouré de matières chaudes :
1) bouillotte (eau chaude brûlante)
2) petit coussin électrique
3) coussin normal sous les genoux
4) petit coussin rond vert sous les entre le talon et
le mollet
Je place la bouillotte, depuis deux nuits, entre la
tête et les épaules. Les bras étendus le long du corps. De temps en temps un
peu de balles de tennis, pas trop ces dernières nuits. Je dors bien sans savoir
ce qui se passe dans ma tête. Je me réveille sans savoir si j’ai rêvé.
Neuf heures seize.
Le cinéma Rialto.
Je ne me souviens plus, comment j’ai réussi à
convaincre Michelle B. à aller au cinéma Rialto. Ce cinéma se trouvait en face,
un peu plus à droite, du magasin de mon père, rue d’Arzew, renommée rue du
général Leclerc.
Il y eut un temps où il y avait des rails de tramway
sur ce boulevard.
Il ressemblait à la Rambla de Barcelone. Je crois que
j’ai une photographie de l’entrée du cinéma. J’aimais l’ambiance, les
fauteuils, les odeurs, les jets d’eaux sur la scène qui montaient et
descendaient à des rythmes différents, les ouvreuses qui passaient avec leurs
paniers de friandises et glaces, panier placé sur le ventre accroché à leur cou
par une ceinture.
Michèle était assise à ma gauche. Je ne me souviens
plus vraiment de ce qui a pu se passer sur l’écran. Je ne regardais pas le
film, je n’entendais pas les dialogues, ni la musique.
J’étais seulement préoccupé par le baiser sur la
bouche que je voulais donner à Michèle B. Ma timidité ne m’a pas fait attendre
jusqu’à la fin du film pour réussir à obtenir ce baiser.
J’ai l’impression vraie, le souvenir exact sur mes lèvres
de la texture de sa peau, après avoir réussi à obtenir ce baiser.
J’ai revu Michelle trente ans après.
Elle habitait une villa dans une banlieue de Paris, était
mère de plusieurs enfants. Elle était la fille aînée d’un couple ami de mes
parents qui habitait en banlieue d’Oran, une villa rose. De villa en villa.
J’étais ébloui par la villa et le métier du père de
Michèle B., armateur de bateaux dans le port d’Oran. Ils se sont repliés à
Bayonne en mil neuf cent soixante deux. Michelle B. était plus grande de taille
que moi, mais comme nous étions assis cela n’a pas gêné le baiser.
J’ai connu Bayonne, ayant passé des vacances à Anglet,
à la colonie de la Plage d’Amour, comme assistant musical d’André Hajdu.
Nous avons bu, dans cette ville, le meilleur chocolat
du monde.
Ce seul premier baiser sur la bouche dans le cinéma
Rialto fut mon seul premier baiser.
Je ne me rappelle plus si j’ai obtenu, donné ou reçu
d’autres baisers sur la bouche de Michèle B.
Il y eut d’autres seuls premiers baisers sur la bouche,
mais pour l’instant je ne m’en souviens pas. Je garde l’impression générale que
les baisers sur la bouche que j’ai donné et reçus étaient tous des seuls
premiers baisers. Je ne me rappelle pas des derniers baisers.
Me viens à l’idée de faire un fil des baisers pour ma
chronologie.
Neuf heures quarante cinq.
AnneAnne,
J’attends avec espoir et certitude, le compte rendu
positif de ta rencontre avec le technicien des yeux. Quelle est la couleur de tes
yeux ? Les miens sont marron clairs tachetés de petites étoiles.
Je continuerai de sauter de joie et de jongler avec
les balles de tennis en attendant de te lire. Je continuerai à écrire mes
souhaits de bonne santé, de joie, de bonnes surprises sans toiles froissées de
tendresse pour S.
Je continuerai de tenter de raconter et de te faire
rire avec mes histoires. Je continuerai d’attendre de lire les tiennes.
Je t’embrasse affectueusement, amicalement, entoure
tes épaules de mes bras douloureux pour sentir que tu vas bien.
Ychaï
Dix heures.
Roger Bénichou-YchaÏ
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire