lundi 5 septembre 2016

13 decembre 2014 Roger

Le treize décembre deux mil quatorze

Début de l'histoire de C.B. (pas la carte bleue).

AnneAnne,

J'ai rencontré C.B. il y a vingt trois ans, en mil neuf cent quatre vingt douze. J’avais commencé à assister aux conférences de Daniel Ep. C.B. y assistait aussi.
Elle a sympathisé avec moi. Nous sympathisons encore.
Elle était devenue mère de son premier bébé, une fille. Elle me proposa, après quelque temps, de me raccompagner en voiture car nous habitions le même quartier. Elle habitait prés du grand marché, Shouk « Mahané Yehouda », le « Camp de Yehouda », tout prés de la rue où je résidais alors, « rehov ha Neviim », la rue des Prophètes, au numéro soixante huit ou cinquante huit à vérifier. A vérifier sur la chronologie.
Après plusieurs raccompagnements, nous sommes devenus intimes.
Plusieurs rapprochements secrets, car elle était mariée. J'ai surmonté mes principes éthiques, car la passion s'était emparée de mon cœur naïf. Je lui téléphonais et nous nous parlions presque tous les jours.
En mil neuf cent quatre vingt douze – quatre vingt treize, je n’avais pas encore d’ordinateur. Je lui ai écrit des milliers de lettres quand elle voyageait en France. Lettres et téléphone.
Nous avions besoin, j’avais besoin, de l’entendre. C.B. ne pouvait me téléphoner qu’en cachette en raison de sa situation familiale. Des années plus tard, j’ai compris que « se cacher » venait de son éducation familiale.
Cette relation, à mes yeux, aujourd'hui, semble une répétition de mon histoire avec F.H.
Aujourd’hui, le vingt quatre mars deux mil seize, je ne pense plus qu ce fût une répétition.
Les seules répétitions sembleraient l’effet de : être dans une voiture, se faire raccompagner, être pris dans la séduction, qu’elles aient pris la décision de prendre ma main en premier…
Grâce à C.B., j'ai été prolifique en lettres manuscrites et en poèmes d'amour que je devrais relire et corriger pour mes anthologies futures ou imaginaires.
Tu connais ma procrastination.
Elle n'avait pas beaucoup de liberté. Elle devait se cacher et ruser pour me voir.
J’ai maintenant compris qu’elle n’agissait pas seulement ainsi avec moi. Elle était mue par son éducation malheureuse. Devoir se cacher pour pouvoir vivre et devoir vivre.
Elle était déjà enceinte, avait accepté de se marier à cause de son état, avec L., un garçon assez problématique. L. s'est remarié avec une attachée d'ambassade, vit en Chine avec les deux enfants qu'il a eus avec sa nouvelle femme.
Ma relation avec C.B., extrêmement riche et bouleversante, a provoqué un séisme intérieur et un grand désespoir.
J'ai analysé ces moments. Depuis très peu de temps, deux ou trois ans, je suis sorti des douleurs de cette relation. J'ai pu m'en dégager.
Se séparer est très difficile pour moi.
Ma séparation avec ma mère n'ayant pas été effectuée totalement et normalement.
Sorti de l’utérus, le cordon ombilical n'ayant pas été coupé suffisamment, le sevrage par la parole n'a pas été aussi effectué.
J'ai cru longtemps avoir été nourri à la bouteille. Interrogeant ma tante Nelly qui s'occupait de moi dans mes premières années, étant célibataire.
Nelly, mère de Louis, a rectifié mon erreur. Elle m'a dit que non seulement ma mère me nourrissait, mais, que, ayant tellement de lait, pouvait se permettre de contenter et de nourrir le bébé de sa cousine.
Ma mère n'a pas pu me séparer d'elle, n'a pas eu les mots ou le comportement adéquat.
C.B. m'a permis de comprendre ce problème, de prendre de la distance pour effectuer moi-même la coupure ombilicale et le sevrage.
J'ai éclairé mes problèmes et ai conduit ma relation avec C.B. à une plus grande profondeur.
Je n’ai pas rompu avec C.B., mais j’ai nettoyé la relation de façon à permettre un approfondissement à notre amitié, étant sorti moi – même de la douleur de la séparation avec elle.
Dernièrement, elle m'a demandé la clé de mon studio pour faire des montages en carton, mais n'a eu le temps de venir.
C.B. a été atteinte par une sclérose en plaques il y a deux ans. Ces temps- ci, les analyses sont meilleures et les symptômes sont pratiquement disparus.
J'ai déployé avec une grande sincérité tous mes moyens pour l'aider à positiver son avenir. Mon intention a été de lui indiquer un comportement adéquat pour s’aider soi – même à sortir de l’univers angoissant de cette maladie.
Je lui ai fait connaître le centre Yuri où elle est soignée deux fois par semaine en plus de tous les soins palliatifs qu'elle pratique.
Je lui ai beaucoup parlé dans nos rencontres dans les cafés de Jérusalem. J’essayais avec toute ma force de lui ouvrir l’espoir. L’espoir qui fait vivre et donne des forces pour voir l’avenir différemment, l’aider à surmonter cette terrible maladie.
Je lui expliquais que les diagnostics peuvent être faux, que les paroles des médecins n'étaient pas des paroles divines et visionnaires.
Les machines n'ont pas le monopole de la vérité. Le développement de cette maladie dépendait de la force qu'elle saurait employer pour se guérir.
Je pensais alors et maintenant de plus en plus que l’on peut changer le cours des choses avec sa volonté.
C.B. est très hypocondriaque. Je devais lutter contre ce défaut.
Elle s'était mariée une nouvelle fois il y a douze ans avec G. Ils ont conçu une fille très belle et gentille que j'aime beaucoup et un garçon qui est suivi.
Leur fille Naomi a eu treize ans cette année.
C.B. m'a fait connaître Madame Suzanne, docteur homéopathe, qui me traite avec les petites pilules blanches (encore du blanc à ajouter à la liste) et qui sont assez chères.
Chaque année nous nous donnons rendez-vous pour faire le point.
Ces rencontres où elle m’écoute pendant une heure. Elle me dit quelques mots, mots se gravant en moi et me donnant à réfléchir. Par exemple, « vous n’êtes pas encore né ». La première année de ma rencontre avec Madame Suzanne, lui ayant parlé une heure et demie, elle me dit que je n'étais pas né. La deuxième année, deuxième rendez-vous, j'étais né.
Je corresponds avec Madame Suzanne entre ses périodes à l’aide du système courriel entre les rendez-vous de chaque année.
Le troisième rendez – vous, je lui ai parlé deux heures sans la regarder.
Elle prend très vite en écrivant des notes manuscrites avec des lettres minuscules.
Très calmement elle me fait des remarques sur mon comportement. Elle le pensait autiste. Elle me voyait comme un embryon se regardant dans les miroirs tapissant la paroi utérine.
Elle ajouta que je ne savais pas regarder l'interlocuteur dans les yeux. Je ne regardais pas son visage, donc j'ignorais la personne à qui je parlais.
Je me parlais.
Je lui ai souvent parlé de mon horreur d'être interrompu dans mes phrases. Selon elle, c'était une façon de ne pas prendre en considération l'interlocuteur.
J’interprétais la coupure de la parole comme un manque éthique et une castration.
J’ai beaucoup d’admiration pour Madame Suzanne, pour son élégance, ses beaux cheveux blancs (encore le blanc). Je la trouve très perspicace.
Ses honoraires étant très chères, j'ai payé les deux dernières années avec des tableaux qu'elle choisissait. Cette année deux mil quatorze a été gratuite.
Toutes mes œuvres sont sur ses murs. Elle les apprécie.
Je suis sorti de son bureau avec cette forte image de bébé encerclé de miroirs.
Le choc de ce dire m'a forcé à réfléchir. Analyser et confronter cette image avec mes proches. Cette image forte et dure.
Pendant la maladie de ma mère, l’amitié et la présence de C.B. ont été très fortes. Elle avait la sensibilité de comprendre mes douleurs devant l’inexorable.
Ma mère avait vaincu un cancer du sang. Elle est morte d'un cancer généralisé.
La présence de C.B. pendant ces épreuves qui tombaient en cascade : divorce, mort de ma mère, suicide de ma sœur Denise, qu'une policière russe idiote à contribué à accélérer. (Reprendre et préciser ce drame dans un autre courriel). Opération à cœur ouvert en mil neuf cent quatre vingt dix neuf. Trois pontages.
Raconter mes drames avec la cigarette.
C.B. était là avec une profonde présence. Je l'ai remerciée.
J'ai pu comprendre, analyser notre relation me rappelant mes douleurs de l’enfance. Une similitude avec la douleur et l’interprétation de la séparation. La première séparation ayant eu lieu avec ma mère.
C.B. a été un révélateur. Révélateur, ce liquide dans lequel on trempe les photos pour les faire apparaître. Selon la force du produit les photos sortent de ce bain, plus ou moins claires. Techniques et manipulations qui n’existent presque plus depuis l’apparition de la virtualité.
Je connais C.B. depuis vingt trois ans, le désespoir et la douleur se sont transformés en joie dans une vraie et grande amitié.
J'aime parler avec elle, quand nous avons le temps de nous asseoir à une terrasse de café.
Je lui dois aussi cette ouverture de mon dire par son écoute attentive et aimante.
L'endroit des rendez-vous se trouve plus souvent dans la Vallée des Géants.
Aroma, la station de café, Soyo, etc…

AnneAnne,
Je fatigue. Mes pensées se troublent. Il est dix heures.
Tant de récits à écrire et à lire. Tant de forces pour avoir des forces.
J'ai encore la force de penser à toi et à espérer que tu as tué tous les microbes. J’aurais aimé encourager les muscles de ton épaule gauche, à reprendre un service convenable, quitter les acariens…
Je lance mon courriel avec mon cœur, ce cœur allant plus vite que l'internet.
Ychaï

Relu, corrigé un peu. Quatorze heures vingt cinq.
Je vais me coucher sous ma couette, peut-être avec la nuit rêvée en direct de France Culture.
On se couche avec qui l'on peut.

Roger Bénichou-YchaÏ


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