Le treize décembre
deux mil quatorze
Début de l'histoire
de C.B. (pas la carte bleue).
AnneAnne,
J'ai rencontré C.B.
il y a vingt trois ans, en mil neuf cent quatre vingt douze. J’avais commencé à
assister aux conférences de Daniel Ep. C.B. y assistait aussi.
Elle a sympathisé avec
moi. Nous sympathisons encore.
Elle était devenue
mère de son premier bébé, une fille. Elle me proposa, après quelque temps, de
me raccompagner en voiture car nous habitions le même quartier. Elle habitait
prés du grand marché, Shouk « Mahané Yehouda », le « Camp de Yehouda »,
tout prés de la rue où je résidais alors, « rehov ha Neviim », la rue
des Prophètes, au numéro soixante huit ou cinquante huit à vérifier. A vérifier sur la chronologie.
Après plusieurs
raccompagnements, nous sommes devenus intimes.
Plusieurs
rapprochements secrets, car elle était mariée. J'ai surmonté mes principes
éthiques, car la passion s'était emparée de mon cœur naïf. Je lui téléphonais et
nous nous parlions presque tous les jours.
En mil neuf cent
quatre vingt douze – quatre vingt treize, je n’avais pas encore d’ordinateur. Je
lui ai écrit des milliers de lettres quand elle voyageait en France. Lettres et
téléphone.
Nous avions besoin,
j’avais besoin, de l’entendre. C.B. ne pouvait me téléphoner qu’en cachette en
raison de sa situation familiale. Des années plus tard, j’ai compris que
« se cacher » venait de son éducation familiale.
Cette relation, à
mes yeux, aujourd'hui, semble une répétition de mon histoire avec F.H.
Aujourd’hui, le
vingt quatre mars deux mil seize, je ne pense plus qu ce fût une répétition.
Les seules
répétitions sembleraient l’effet de : être dans une voiture, se faire
raccompagner, être pris dans la séduction, qu’elles aient pris la décision de
prendre ma main en premier…
Grâce à C.B., j'ai
été prolifique en lettres manuscrites et en poèmes d'amour que je devrais
relire et corriger pour mes anthologies futures ou imaginaires.
Tu connais ma
procrastination.
Elle n'avait pas
beaucoup de liberté. Elle devait se cacher et ruser pour me voir.
J’ai maintenant
compris qu’elle n’agissait pas seulement ainsi avec moi. Elle était mue par son
éducation malheureuse. Devoir se cacher pour pouvoir vivre et devoir vivre.
Elle était déjà
enceinte, avait accepté de se marier à cause de son état, avec L., un garçon
assez problématique. L. s'est remarié avec une attachée d'ambassade, vit en
Chine avec les deux enfants qu'il a eus avec sa nouvelle femme.
Ma relation avec
C.B., extrêmement riche et bouleversante, a provoqué un séisme intérieur et un
grand désespoir.
J'ai analysé ces
moments. Depuis très peu de temps, deux ou trois ans, je suis sorti des
douleurs de cette relation. J'ai pu m'en dégager.
Se séparer est très
difficile pour moi.
Ma séparation avec
ma mère n'ayant pas été effectuée totalement et normalement.
Sorti de l’utérus,
le cordon ombilical n'ayant pas été coupé suffisamment, le sevrage par la
parole n'a pas été aussi effectué.
J'ai cru longtemps
avoir été nourri à la bouteille. Interrogeant ma tante Nelly qui s'occupait de
moi dans mes premières années, étant célibataire.
Nelly, mère de
Louis, a rectifié mon erreur. Elle m'a dit que non seulement ma mère me
nourrissait, mais, que, ayant tellement de lait, pouvait se permettre de
contenter et de nourrir le bébé de sa cousine.
Ma mère n'a pas pu
me séparer d'elle, n'a pas eu les mots ou le comportement adéquat.
C.B. m'a permis de
comprendre ce problème, de prendre de la distance pour effectuer moi-même la
coupure ombilicale et le sevrage.
J'ai éclairé mes
problèmes et ai conduit ma relation avec C.B. à une plus grande profondeur.
Je n’ai pas rompu
avec C.B., mais j’ai nettoyé la relation de façon à permettre un
approfondissement à notre amitié, étant sorti moi – même de la douleur de la
séparation avec elle.
Dernièrement, elle
m'a demandé la clé de mon studio pour faire des montages en carton, mais n'a eu
le temps de venir.
C.B. a été atteinte
par une sclérose en plaques il y a deux ans. Ces temps- ci, les analyses sont
meilleures et les symptômes sont pratiquement disparus.
J'ai déployé avec
une grande sincérité tous mes moyens pour l'aider à positiver son avenir. Mon
intention a été de lui indiquer un comportement adéquat pour s’aider soi – même
à sortir de l’univers angoissant de cette maladie.
Je lui ai fait
connaître le centre Yuri où elle est soignée deux fois par semaine en plus de
tous les soins palliatifs qu'elle pratique.
Je lui ai beaucoup
parlé dans nos rencontres dans les cafés de Jérusalem. J’essayais avec toute ma
force de lui ouvrir l’espoir. L’espoir qui fait vivre et donne des forces pour voir
l’avenir différemment, l’aider à surmonter cette terrible maladie.
Je lui expliquais que
les diagnostics peuvent être faux, que les paroles des médecins n'étaient pas
des paroles divines et visionnaires.
Les machines n'ont
pas le monopole de la vérité. Le développement de cette maladie dépendait de la
force qu'elle saurait employer pour se guérir.
Je pensais alors et
maintenant de plus en plus que l’on peut changer le cours des choses avec sa volonté.
C.B. est très
hypocondriaque. Je devais lutter contre ce défaut.
Elle s'était mariée
une nouvelle fois il y a douze ans avec G. Ils ont conçu une fille très belle
et gentille que j'aime beaucoup et un garçon qui est suivi.
Leur fille Naomi a
eu treize ans cette année.
C.B. m'a fait
connaître Madame Suzanne, docteur homéopathe, qui me traite avec les petites
pilules blanches (encore du blanc à ajouter à la liste) et qui sont assez
chères.
Chaque année nous
nous donnons rendez-vous pour faire le point.
Ces rencontres où
elle m’écoute pendant une heure. Elle me dit quelques mots, mots se gravant en
moi et me donnant à réfléchir. Par exemple, « vous n’êtes pas encore
né ». La première année de ma rencontre avec Madame Suzanne, lui ayant
parlé une heure et demie, elle me dit que je n'étais pas né. La deuxième année,
deuxième rendez-vous, j'étais né.
Je corresponds avec
Madame Suzanne entre ses périodes à l’aide du système courriel entre les
rendez-vous de chaque année.
Le troisième rendez
– vous, je lui ai parlé deux heures sans la regarder.
Elle prend très
vite en écrivant des notes manuscrites avec des lettres minuscules.
Très calmement elle
me fait des remarques sur mon comportement. Elle le pensait autiste. Elle me
voyait comme un embryon se regardant dans les miroirs tapissant la paroi
utérine.
Elle ajouta que je
ne savais pas regarder l'interlocuteur dans les yeux. Je ne regardais pas son
visage, donc j'ignorais la personne à qui je parlais.
Je me parlais.
Je lui ai souvent
parlé de mon horreur d'être interrompu dans mes phrases. Selon elle, c'était une
façon de ne pas prendre en considération l'interlocuteur.
J’interprétais la
coupure de la parole comme un manque éthique et une castration.
J’ai beaucoup
d’admiration pour Madame Suzanne, pour son élégance, ses beaux cheveux blancs
(encore le blanc). Je la trouve très perspicace.
Ses honoraires
étant très chères, j'ai payé les deux dernières années avec des tableaux
qu'elle choisissait. Cette année deux mil quatorze a été gratuite.
Toutes mes œuvres
sont sur ses murs. Elle les apprécie.
Je suis sorti de
son bureau avec cette forte image de bébé encerclé de miroirs.
Le choc de ce dire
m'a forcé à réfléchir. Analyser et confronter cette image avec mes proches.
Cette image forte et dure.
Pendant la maladie
de ma mère, l’amitié et la présence de C.B. ont été très fortes. Elle avait la
sensibilité de comprendre mes douleurs devant l’inexorable.
Ma mère avait
vaincu un cancer du sang. Elle est morte d'un cancer généralisé.
La présence de C.B.
pendant ces épreuves qui tombaient en cascade : divorce, mort de ma mère, suicide
de ma sœur Denise, qu'une policière russe idiote à contribué à accélérer. (Reprendre
et préciser ce drame dans un autre courriel). Opération à cœur ouvert en mil
neuf cent quatre vingt dix neuf. Trois pontages.
Raconter mes drames
avec la cigarette.
C.B. était là avec
une profonde présence. Je l'ai remerciée.
J'ai pu comprendre,
analyser notre relation me rappelant mes douleurs de l’enfance. Une similitude
avec la douleur et l’interprétation de la séparation. La première séparation
ayant eu lieu avec ma mère.
C.B. a été un
révélateur. Révélateur, ce liquide dans lequel on trempe les photos pour les
faire apparaître. Selon la force du produit les photos sortent de ce bain, plus
ou moins claires. Techniques et manipulations qui n’existent presque plus
depuis l’apparition de la virtualité.
Je connais C.B.
depuis vingt trois ans, le désespoir et la douleur se sont transformés en joie
dans une vraie et grande amitié.
J'aime parler avec
elle, quand nous avons le temps de nous asseoir à une terrasse de café.
Je lui dois aussi
cette ouverture de mon dire par son écoute attentive et aimante.
L'endroit des
rendez-vous se trouve plus souvent dans la Vallée des Géants.
Aroma, la station
de café, Soyo, etc…
AnneAnne,
Je fatigue. Mes
pensées se troublent. Il est dix heures.
Tant de récits à
écrire et à lire. Tant de forces pour avoir des forces.
J'ai encore la
force de penser à toi et à espérer que tu as tué tous les microbes. J’aurais
aimé encourager les muscles de ton épaule gauche, à reprendre un service convenable,
quitter les acariens…
Je lance mon
courriel avec mon cœur, ce cœur allant plus vite que l'internet.
Ychaï
Relu, corrigé un
peu. Quatorze heures vingt cinq.
Je vais me coucher
sous ma couette, peut-être avec la nuit rêvée en direct de France Culture.
On se couche avec
qui l'on peut.
Roger Bénichou-YchaÏ
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