Treize janvier deux mil quinze. Sept
heures cinquante deux.
Voyage.
AnneAnne,
Merci de ton courriel. Il me fait
croire et espérer que tes problèmes de vue se sont améliorés. J’attends vite
une guérison complète.
André H. va mieux. Il se réalimente,
retrouve sa voix, parle un peu plus mais pas trop, a pris un kilo grâce aux
petites boîtes remplies de toutes sortes de vitamines et autres.
Certains souvenirs remontent en
désordre et en tournant, se colorent et se précisent.
Je connaissais André H. depuis un
certain temps, j'ai ensuite rencontré Miki Erdely, Szuszi, sa femme, Hedi Tarjan,
ayant voyagé plusieurs fois en Hongrie. J'avais été poussé par un désir de
vivre quelques temps en Hongrie, pour être plus longtemps avec nos amis. Je
voulais me permettre d'approfondir les
méthodes d’enseignement musical de ce pays. A cette époque, j'avais remarqué
l'avance de cet enseignement, et la modernité des méthodes pédagogiques
inventées par Kodaly.
J'ai demandé et reçu une bourse d'études
en mil neuf cent soixante sept, ayant attendu plus d'un an la réponse des
autorités. Cette bourse avait été accordée pour deux ans, mais, pour de
multiples raisons, je n’ai pas profité de la deuxième année.
Je suis rentré à Paris en juin – juillet
mil neuf cent soixante huit avec Miki E. qui avait enfin reçu un passeport,
laissant sa famille en otages pour l'obliger à revenir.
J'ai déjà écrit sur ce voyage de
retour avec ma « Quatre Chevaux » légendaire, exposée sur le parvis
de l'exposition où Miki E. avait été invité.
Préparant mon voyage d'études, séjour
qui se transforma en un grand voyage d'amitié, de connaissances nouvelles :
peintres, poètes, écrivains, cafés littéraires…
J'avais acheté à Paris une deuxième « Quatre
Chevaux » que j'avais démantelée pour récupérer les pièces, voulant faire
cadeau de ma première « Quatre Chevaux » à Miki E., mais connaissant
la situation en Hongrie, j’avais prévu des pièces de rechange. Cela n'a pas été
possible, les douanes hongroises étant contre l'importation de véhicules.
Je suis parti au début de l'année
scolaire, seul dans ma voiture remplie de mes affaires, mais surtout de pièces
de voiture. J'avais démonté seul la deuxième voiture, poussé par l'amitié et le
désir de faire un cadeau rare
Huit heures vingt huit.
Est arrivé enfin le jour du départ
vers la Hongrie, ayant vaguement esquissé l'itinéraire.
Je n'aime pas beaucoup les cartes de
géographie, les cartes en général et les dictionnaires. Je me fiais à mon
instinct et à une mémoire improbable de mes derniers voyages par train et par
avion. Sachant plus ou moins les noms des pays que je devais traverser pour
arriver à Budapest, je pris la route.
J'ai répété ce comportement absurde
mais efficace lors de mon voyage en moto, fin mil neuf cent soixante neuf pour
l'Iran.
Après avoir quitté la France, la
voiture a commencé à manifester son existence.
Le démarreur ne voulant pas répondre
à mes demandes, je me suis trouvé dans l'obligation de continuer le voyage sans
arrêter le moteur. Je n'ai pas imaginé, ni pensé à me faire aider par des
spécialistes. J'avais trouvé une solution folle, ne pas m’arrêter, conduire
sans dormir, ne pas me reposer. Pour satisfaire des besoins naturels, j'ai eu
l'idée d’arrêter la voiture en haut des côtes sans éteindre le moteur. Ceci, au
cas où le moteur manifestant sa fatigue aurait décidé de me contrarier. Le haut
des côtes m'assurant la possibilité de faire redémarrer la voiture, assis à
moitié sur le siège du conducteur, le pied gauche sur la chaussée pour donner
un élan et amorcer la descente. J'ai ainsi vécu ce voyage dans une angoisse,
mais avec une grande confiance de pouvoir arriver au but. Je parlais à la
voiture comme on parle à un cheval pour le convaincre de sa beauté et de sa
force. J'ai gardé cette foi dans la parole magique. J'étais un enfant croyant
que la parole pouvait réaliser le monde. Avec la moto Java, achetée pour le
voyage en Iran, j'avais gardé cette conviction.
En relisant mes courriels, je me trouve
être resté encore cet enfant croyant à la magie des mots.
Pendant ces deux jours, seul et
entièrement conducteur, parlant et pensant avec ma voiture, voué à la prière, et
à des supplications pour arriver au but de mon voyage. Dans mes souvenirs de
quelques instants d'arrêts dans les stations services, je permettais à mon cœur
de se reposer, faisant confiance aux professionnels résidant dans cette
endroit.
Je ne me souviens pas comment j'ai pu
m'alimenter. Je garde en mémoire que la peur et l'excitation, le moment
d'attente devant un poste de frontière qui ouvrait sa barrière qu'à partir de
six heures du matin. Frontière entre l'Autriche et la Hongrie.
J'avais laissé le moteur en marche et
avais pris quelques temps pour sommeiller.
Je suis arrivé à Viragarok 6/B (le
Chemin des Roses) où se trouvait la petite maison où habitait Miklos (Miki E.)
et sa famille. Quand ?
J'espère pouvoir écrire sur ce voyage
en précisant les détails s'ils me reviennent en mémoire.
Neuf heures dix.
AnneAnne,
Je pense à toi, avec une attente
patiente, attente de nouvelles de ta santé.
Souhaits, pensées, affections
chaleureuses.
Il y a eu un peu de neige. Blanc qui
m'a permis une petite contemplation.
Souvenirs, mémoires de tous les
blancs.
YchaÏ.
Roger Bénichou-YchaÏ
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