lundi 5 septembre 2016

13 janvier 2015 Roger

Treize janvier deux mil quinze. Sept heures cinquante deux.
Voyage.

AnneAnne,
Merci de ton courriel. Il me fait croire et espérer que tes problèmes de vue se sont améliorés. J’attends vite une guérison complète.

André H. va mieux. Il se réalimente, retrouve sa voix, parle un peu plus mais pas trop, a pris un kilo grâce aux petites boîtes remplies de toutes sortes de vitamines et autres.

Certains souvenirs remontent en désordre et en tournant, se colorent et se précisent.
Je connaissais André H. depuis un certain temps, j'ai ensuite rencontré Miki Erdely, Szuszi, sa femme, Hedi Tarjan, ayant voyagé plusieurs fois en Hongrie. J'avais été poussé par un désir de vivre quelques temps en Hongrie, pour être plus longtemps avec nos amis. Je voulais  me permettre d'approfondir les méthodes d’enseignement musical de ce pays. A cette époque, j'avais remarqué l'avance de cet enseignement, et la modernité des méthodes pédagogiques inventées par Kodaly.
J'ai demandé et reçu une bourse d'études en mil neuf cent soixante sept, ayant attendu plus d'un an la réponse des autorités. Cette bourse avait été accordée pour deux ans, mais, pour de multiples raisons, je n’ai pas profité de la deuxième année.
Je suis rentré à Paris en juin – juillet mil neuf cent soixante huit avec Miki E. qui avait enfin reçu un passeport, laissant sa famille en otages pour l'obliger à revenir.
J'ai déjà écrit sur ce voyage de retour avec ma « Quatre Chevaux » légendaire, exposée sur le parvis de l'exposition où Miki E. avait été invité.
Préparant mon voyage d'études, séjour qui se transforma en un grand voyage d'amitié, de connaissances nouvelles : peintres, poètes, écrivains, cafés littéraires…
J'avais acheté à Paris une deuxième « Quatre Chevaux » que j'avais démantelée pour récupérer les pièces, voulant faire cadeau de ma première « Quatre Chevaux » à Miki E., mais connaissant la situation en Hongrie, j’avais prévu des pièces de rechange. Cela n'a pas été possible, les douanes hongroises étant contre l'importation de véhicules.
Je suis parti au début de l'année scolaire, seul dans ma voiture remplie de mes affaires, mais surtout de pièces de voiture. J'avais démonté seul la deuxième voiture, poussé par l'amitié et le désir de faire un cadeau rare
Huit heures vingt huit.
Est arrivé enfin le jour du départ vers la Hongrie, ayant vaguement esquissé l'itinéraire.
Je n'aime pas beaucoup les cartes de géographie, les cartes en général et les dictionnaires. Je me fiais à mon instinct et à une mémoire improbable de mes derniers voyages par train et par avion. Sachant plus ou moins les noms des pays que je devais traverser pour arriver à Budapest, je pris la route.
J'ai répété ce comportement absurde mais efficace lors de mon voyage en moto, fin mil neuf cent soixante neuf pour l'Iran.
Après avoir quitté la France, la voiture a commencé à manifester son existence.
Le démarreur ne voulant pas répondre à mes demandes, je me suis trouvé dans l'obligation de continuer le voyage sans arrêter le moteur. Je n'ai pas imaginé, ni pensé à me faire aider par des spécialistes. J'avais trouvé une solution folle, ne pas m’arrêter, conduire sans dormir, ne pas me reposer. Pour satisfaire des besoins naturels, j'ai eu l'idée d’arrêter la voiture en haut des côtes sans éteindre le moteur. Ceci, au cas où le moteur manifestant sa fatigue aurait décidé de me contrarier. Le haut des côtes m'assurant la possibilité de faire redémarrer la voiture, assis à moitié sur le siège du conducteur, le pied gauche sur la chaussée pour donner un élan et amorcer la descente. J'ai ainsi vécu ce voyage dans une angoisse, mais avec une grande confiance de pouvoir arriver au but. Je parlais à la voiture comme on parle à un cheval pour le convaincre de sa beauté et de sa force. J'ai gardé cette foi dans la parole magique. J'étais un enfant croyant que la parole pouvait réaliser le monde. Avec la moto Java, achetée pour le voyage en Iran, j'avais gardé cette conviction.
En relisant mes courriels, je me trouve être resté encore cet enfant croyant à la magie des mots.
Pendant ces deux jours, seul et entièrement conducteur, parlant et pensant avec ma voiture, voué à la prière, et à des supplications pour arriver au but de mon voyage. Dans mes souvenirs de quelques instants d'arrêts dans les stations services, je permettais à mon cœur de se reposer, faisant confiance aux professionnels résidant dans cette endroit.
Je ne me souviens pas comment j'ai pu m'alimenter. Je garde en mémoire que la peur et l'excitation, le moment d'attente devant un poste de frontière qui ouvrait sa barrière qu'à partir de six heures du matin. Frontière entre l'Autriche et la Hongrie.
J'avais laissé le moteur en marche et avais pris quelques temps pour sommeiller.
Je suis arrivé à Viragarok 6/B (le Chemin des Roses) où se trouvait la petite maison où habitait Miklos (Miki E.) et sa famille. Quand ?
J'espère pouvoir écrire sur ce voyage en précisant les détails s'ils me reviennent en mémoire.
Neuf heures dix.
AnneAnne,
Je pense à toi, avec une attente patiente, attente de nouvelles de ta santé.
Souhaits, pensées, affections chaleureuses.
Il y a eu un peu de neige. Blanc qui m'a permis une petite contemplation.
Souvenirs, mémoires de tous les blancs.
YchaÏ. 

Roger Bénichou-YchaÏ


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