Vingt six décembre deux mil quatorze.
André.
AnneAnne,
Demander ou imaginer des nouvelles de
ton séjour et de ta santé, du froid ou de la clémence du climat dans cette
petite partie de monde où tu résides actuellement.
Ces vingt quatre et vingt cinq
décembre, sont passés en ayant une petite conscience et des moments
d'informations par France Culture. Ici, ce n'est que dans une petite partie de
la Vieille Ville, et à Bethléem (Maison du Pain), qu'il y a de l'agitation.
Je visite André H. tous les jours. Hier,
il était plus silencieux à mon arrivée, les examens ayant détecté un cancer, je
n'ai pas compris de quelle sorte de cancer il s’agissait.
Après un moment, il a commencé à me
parler de ce qu'il ressentait. Les trois personnes qu'il sentait en lui,
l'artiste, l’homme moral et le religieux. D’après lui, ce dernier, l’homme
religieux, est celui qui veut le plus vivre.
Il s’est comparé avec Hedi T. en
disant que Hedi T. qui est morte pour son art, comme Kafka, qui, lui aussi, est
mort pour son art. Je glissais un mot de temps en temps.
André H. parle à voix basse et avec
précipitation, comme s'il voulait ne laisser échapper aucune pensée. Je dois me
pencher pour l'entendre. Je dois hausser le ton de ma voix car, malgré ses appareils,
il n'entend pas assez bien.
Il m'a surpris, encore une fois, quand
avec une voix plus basse, il a dit que quoiqu’il lui arriverait, je devais
rester en vie.
Qu'il allait aussi en parler avec
Ruth, car il pense que son départ sera vécu avec difficulté par elle. Je n'ai
pas retenu les mots exacts. C’est ce qui est resté gravé dans ma mémoire. Je
cherche une interprétation. Je ne savais pas quoi répondre.
Je ne trouvais pas la réponse
adéquate. Je n'ai pu m’empêcher de lui raconter ce sentiment que j’avais eu, au
moment de l’enterrement de mon père. Cette envie furieuse de me jeter dans le
trou ouvert de la terre où on avait descendu le cercueil.
J'espère qu'il n'a pas bien entendu.
J’essaye de remplir les papiers pour
l'envoi en Hongrie des œuvres de Hedi T. La compagnie de déménagement m'a
averti qu’elle a calculé deux mètres cube et demi. Ils ont ajouté un supplément
au prix approximatif qu’ils m’avaient indiqué. J'aimerais finir de remplir ces
papiers ce soir avec Israël Hadany. Il faut envoyer les papiers par Internet,
mais je n'ai pas de scanner.
Je ne comprends pas très bien ce
qu'il faut remplir. Comme le prix de l'assurance que je dois estimer selon les
demandes de la compagnie, en affectant une valeur marchande à la valeur
affective.
La difficulté est le coût qui s’élève
à cinquante euros pour mille euros de remboursement, s'il arrivait quelque
chose pendant l'envoi. Si j’estime l'art de Hedi T. à deux milles euros, il
faut ajouter cinquante euros à chaque augmentation de mon estimation. Cela me
donne un problème. Je ne peux pas demander à André H. son avis.
Hier, le vingt cinq, je suis parti
tôt de mon appartement, inquiet des résultats de la réponse des docteurs sur le
début de la chimio thérapie. Celle-ci, pense André, pourrait être repoussée à
dimanche. Il aimerait aller chez lui et venir à nouveau dimanche à l’hôpital.
Il cite souvent la maladie de Dadou, et de Litvan, un compositeur qui vivait en
Hongrie. Lidvan était son ami avec qui il était resté en contact. André H. prenait
contact avec lui à chacun de ses voyages en Hongrie.
André H. se raconte et fait le récit de
sa vie de compositeur. Il m’explique la différence de sa manière de composer. Il
se sert plus de son inspiration et moins de ses techniques de composition à
l'inverse des compositeurs professionnels. Il se sent professionnel mais
n’appuie pas sur ce côté – là et préfère garder sa liberté d’artiste.
Il raconte ses lectures et se compare
aux compositeurs qu'il admire, me dit la découverte nouvelle de la musique de
H. Berlioz et la différence de sa musique avec celle de F. Schubert. Il me
parle de ses lectures, de son livre refermé : le journal de Milosz,
découvert récemment. Il place Milosz à côté de Sebald parmi les livres qui
l'ont profondément ému ces dernières années. L’écrivain Milosz a été introduit
par la voix de D. Ep, dans ses conférences. Sebald et Milosz sont devenus les
bibles de Hedi T.
J'essaye d’enregistrer la voix d’André
H. Elle est presque inaudible. Il parle très vite.
André H. m’a demandé d'avertir ses
amis de sa maladie, sans leur dire la nature de sa maladie.
Je t'écris comme si j'écrivais un
journal. Cela m'aide à me souvenir, à formuler par écrit pour mieux garder la
mémoire. Comme dans les rêves, l’écrit transforme le contenu.
Le cachet de Tramodone m’a fait
trouver le sommeil. Il me fait dormir plus longtemps qu'à mon habitude, me fait
rêver. A part quelques rêves que j'oublie, j'ai pu me souvenir de certains
d’entre eux. Quelques fois, j’ai le réflexe de me lever, pour les transcrire
sur le cahier que j'utilise pour écrire des notes sur le déroulement de ma
journée.
Je suis très nerveux dans la journée,
dans le travail effectué au studio, agité aussi dans l'appartement, hésitant
sur mes prises de décisions. Je garde en tête ma volonté d'écrire, même si je
ne fais qu'écrire sur André H.
D. Ep, m'a téléphoné hier soir, pour
me raconter la visite qu'il a faite à André H., vers dix neuf heures, rentrant
de Tel-Aviv, où il donne des cours régulièrement. Il doit m’appeler vers dix
heures quinze pour confirmer le rendez-vous. Rendez-vous que nous avons presque
tous les vendredis quand il ne voyage pas à Tel-Aviv (la Colline du Printemps).
Je n'arrive pas à écrire le texte
pour l'exposition et pour le projet. Le temps passe.
D. Ep et Carine m'ont proposé de
m'aider.
Entre l'oubli et le désir de me
rappeler. De la tristesse de l'oubli. De la rapidité de la parole. De la
description de mes sentiments et angoisses.
Neuf heures.
Je prépare et je laisse en attente ce
courriel. Je l'enverrai quand même. J'ai écrit quand même. J'ai envie de
m'empêcher d'effacer mes lapsus d'écriture.
Ils reflètent ma confusion.
AnneAnne, ce doublement de ton nom
pour refléter mon affection et mon amitié.
Ychaï.
Roger Bénichou-YchaÏ
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