mardi 10 mai 2016

22 avril 2014 Anne

Cher Ychaï,

J’ai eu ces dernières semaines, une période plutôt en forme, c’était l'exception qui confirme la règle.
Je suis « out », incapable d'écrire, mais je t'ai lu, toi, avec plaisir.
Je t'envoie ce message avec amitié.

Anne

J'ai voulu tester ta nouvelle adresse, elle ne fonctionne pas.


21 avril 2014 Roger 18h25

Jérusalem le vingt et un avril deux mil quatorze à dix huit heures vingt cinq. Déjà…

A mon dernier voyage à Paris, en février, nous avions décidé avec Dadou de ne plus nous dire « ça va ?».
J'ai donc pris l'habitude, en lui téléphonant, d'écouter sa voix, de lui demander s'il pouvait parler, car, quand il sort d'un chimio, il ne peut pas bien parler.
Je lui ai téléphoné ce matin, il pouvait parler mais je ne l'entendais pas très bien.
Demander « comment ça va ?» est un peu absurde quand on est malade ou pas en forme.
On peut mentir et dire « oui », ou dire « ça va pas », ce qui oblige l'autre à chercher une réponse qui serait aussi un mensonge.
Dadou m'a donné des nouvelles de son cousin germain, Loulou, qui était un grand ami peintre.
Il m'a dit qu'il se répétait beaucoup et nous avons diagnostiqué une démence précoce en riant.
Il m'a raconté que son autre cousin germain, Freddy, se répétait aussi et qu'il voulait les mettre dans la même chambre, mais je n'ai pas entendu pourquoi.
Dadou chante et connaît les chansons de Brassens. Sa plus grande tristesse, après les traitements, est de ne pas pouvoir chanter et penser pendant quelques jours.
Je lui ai demandé de m'enregistrer les chansons avec sa voix sur son téléphone Ipod, pour me les envoyer et il était très content de mon idée.
J'avais pensé la veille que j'aimerai apprendre ces chansons en écoutant la voix de Dadou.

J'ai aussi téléphoné à mes amis, Chémirani, qui habitent à Saint-Maime, un beau nom pour un village du douzième siècle, entre Manosque et Fortcalquier. Elisabeth, m'a annoncé qu'elle était tombée de son fauteuil, parce que le pied du fauteuil a lâché.
Je lui ai demandé comment elle se soignait : - elle m'a répondu avec une huile essentielle, dont je n'ai pas retenu le nom, je connaissais cette huile. Nous avons continué la conversation sur les bienfaits des huiles essentielles. Je lui ai recommandé d’essayer avec le Gaulthérie.

J'écoute obsessionnellement les conférences de la BNF avec François Jullien. J'ai l'impression de ne pas comprendre à la première écoute, alors je reprends et reprends inlassablement l'écoute.
J'ai repris la guitare il y a un mois, je n'avais pas joué depuis dix ans. Comme je ne sais plus rien ou pense que je ne sais plus rien, je joue pendant des heures seulement la mineur et mi majeur.
Suis-je obsessionnel dans tout ce que je fais ? Ne pas répondre, s'il te plaît !
Écrire, peindre, jouer de la guitare, du tambour persan, lire, et ainsi de suite…
D'autre part, je ne voudrais faire qu'une seule chose, et, quand je commence, ne plus arrêter.
Je me suis de plus en plus attaché à l'écoute, m'étant aperçu que je ne savais pas lire comme il faut.
Trop d’électricité dans le cerveau.
C'est ainsi que j'ai trouvé mon bonheur avec « A Ne Pas Rater ».
C'est un petit courriel à pour suivre.

Ychaï


21 avril 2014 Roger

Pour l'instant je garde les courriels dans « Gmail ».

Je vais faire un dossier.
Amitiés franches et sincères

Casqueta 

C'était mon surnom, enfant, je ne voulais pas enlever ma casquette.


20 avril 2014 Roger 10h20 - 17h40

Jérusalem le vingt avril deux mil quatorze, ce matin à dix heures vingt, heure d’Israël.

Bonjour Anne.

J'ai lu avec toujours beaucoup de plaisir ton courriel ainsi que le « blog ».
J'ai relevé des croisements dans la tapisserie, auxquels je ferai allusion au cours de mes courriels, sans le faire systématiquement et au gré de ma mémoire.
Je me suis perdu dans ton « blog », j'ai vu les photos et lu quelques textes.
J'ai copié un photo que ressemblait au Cap Falcon et que je te l'enverrai en attaché.
J'ai aussi quelques « blogs » personnels, mais je ne m'en occupe pas bien.
Ta proposition de faire un « blog », mais privé, est intéressante et demande à être envisagée.
Est-ce que les corrections sont admises même après publication ?

Naturellement tes courriels me donnent une énergie pour continuer l'écriture et active ma mémoire. Ils me donnent l'envie de t'écrire, que je m’efforce de retenir et de m'en tenir si possible à un courriel par jour.
Pour ce faire, j'écris sur mon logiciel Linux pour pouvoir ajouter, s'il me prend, l'envie de faire des ajouts. J'enverrai mes courriels en fin de journée.
L’empressement de dire ou d'envoyer sans attendre, vient de l'angoisse d'oublier les idées.
D'autre part, je pense que je me répète souvent et ne fait que des variations sur mes souvenirs.
Je me demande s'il ne faudrait passer par un mélange avec la fiction pour aiguiser l’intérêt.

J'ai reçu une réponse de Stéphane (ANPR), sur une question que je lui avais posée à propos du logiciel « J Downloader », mais je n'ai pas réussi à appliquer ses conseils.
Je n'arrive pas à dérouler en cliquant à gauche le menu déroulant.
Je m'adresse aussi à tes lumières, et me demande si ce n'est pas encore Linux qui bloque.

L’après-midi. Dix sept heure quarante.
En rangeant des papiers, j'ai retrouvé des informations que j’avais oubliées, malgré leur importance.
Je suis né à Oran dans une clinique privée, au numéro huit, square du Souvenir, je suis heureux que l'endroit où je suis né s’appelle « souvenir ». Fin de l'année mil neuf cent cinquante six, j'ai fait un séjour dans la clinique du Docteur Micheline Saint-Jean à Alger, au numéro un, rue du Danemark.
J'y ai reçu des électrochocs et une cure d’insulinothérapie qui a duré trois mois. Les honoraires de cette clinique ont du être très chers car j'ai retrouvé dans les papiers de mon père une lettre où il demande des explications sur cette facture très élevé.
Ma grand-mère maternelle, Rosine Saiman, s'était mariée très jeune avec mon grand-père Sportes.
Pour l'instant, je ne retrouve plus son prénom (Aaron, j'ai retrouvé). Elle avait peut-être vingt ans et a enfanté deux filles, Rolande et Éliane, ma mère qui est né en mil neuf cent treize. Ma mère n'a pas connu son père, mort à Verdun en mil neuf cent quatorze. Il était parti à la guerre, laissant ma grand-mère enceinte. Elle est devenue veuve de guerre, s’est mise à travailler en dessinant des modèles sur papier que les femmes achetaient pour faire de la dentelle. Elle devait gagner sa vie pour élever ses deux filles. J'ai des photos de mon grand-père, datant de mil neuf cent treize et mil neuf cent quatorze où on le voit dans les tranchées. Je peux les envoyer car elles sont belles. Si elles t’intéressent ?
Ma grand-mère Rosine est partie quelques temps après le décès de son mari à Paris. Elle a été aidée par des parents qui étaient depuis plus longtemps en France. Elle a loué un magasin Rue Chabrol dans le onzième arrondissement (je ne sais pas si le numéro de l'arrondissement est juste). Elle est revenue en Algérie plus tard et a vécu avec ma tante Rolande après que celle – ci se soit mariée à Albert Karsenti. Ils ont habité à Ain-Temouchent, à cent kilomètres d'Oran. Albert Karsenti fabriquait du vin et avait une ferme. Je t'ai déjà écrit sur une de mes seules relations avec cet ouvrier arabe que j'aimais beaucoup. Il me prenait sur une charrette, tirée par un seul cheval, pour aller livrer les bouteilles de vin. Quand je faisais des fugues, il me cherchait dans tout le village et seulement avec lui, j’acceptais de rentrer chez ma tante.
Albert Karsenti est mort très jeune. Ma tante, jeune veuve, a du s’occuper de la cave et de la ferme, sans aucune expérience.
J'aimais beaucoup ma tante. Elle est morte à Marseille l'année dernière. Quelques mois avant d’atteindre cent ans.
A chacun de mes voyages, je passe quelques jours à Marseille, pour voir mes cousines et mon cousin.
J'ai fait un voyage en février pour voir mon cousin Charles, qui était à l’hôpital, pour subir une chimio thérapie.
Je suis monté ensuite à Paris pour voir un très grand ami, Dadou N., que j'ai connu à son arrivée à Paris après l'expulsion des français et des juifs de Tunisie.
Dadou, David, est dans sa deuxième année de chimio.
D’habitude, je ne voyage pas à cette période. Cette famille est arrivée à Marseille en catastrophe en mil neuf cent soixante deux. Date de l'indépendance de l'Algérie.
Ma tante s'était installée à Marseille, Boulevard Chave, et a loué un magasin d'alimentation.
Je venais de Paris et résidait chez elle souvent. J’entends encore le tramway qui montait le boulevard, pour arriver en haut plus loin à une gare de chemin de fer.
Ils ont changé d'appartement et habitent avenue du Prado.
J'ai voyagé l'année dernière pour le premier anniversaire de sa mort.
En me promenant en bas de la rue de Rome, presque à la fin, à droite, j'ai trouvé un petit magasin tenu par un arabe et j'ai acheté deux pantalons en lin pour vingt euros.
Je ne supporte pas le synthétique, j’hésite longtemps avant d’acheter. La plupart du temps je reçois des vêtements. Cela est très bien car je déteste et je ne sais pas acheter dans les magasins.

J'avais de l'huile de Gaulthérie et, sur ton conseil d'hier, je me suis frictionné avec. Cela a amélioré ma condition, je vais un peu mieux mais j'ai encore mal.
Je me suis tordu le dos en travaillant au studio sur mon nouveau projet. J’avais oublié mon âge.
Je fais souvent cet oubli. Erreur qui me fait me retrouver avec un dos tordu.
Depuis deux ans, grâce aux «news letters » que je reçois, j'ai appris à être un homme « huilée essentiellement » (c'est un peu faible).
J'ai repris des forces avec les traitements naturels. J'ai réussi à guérir mon genou gauche qui me faisait atrocement souffrir. Pendant des mois, j’ai fait des compresses avec de l'argile verte. Je n’ai pas voulu recevoir ni piqûre ni traitement médical. J’ai réussi à guérir ce genou. J'ai été, il y a trois ans, dans un état de fatigue terminale.
Avec l'aide des danseuses anthroposophes, j'ai retrouvé mes forces et plus de joie.
Je fais aussi du Chi-Kong, de la gymnastique Feldenkreis, et des massages Chia-tsu grâce à des associations de bénévoles qui m'ont pris en charge.
Je dois m’arrêter non parce que je dois, ou n'ai plus rien à écrire, mais parce que mes yeux sont fatigués.
Ce soir, c'est encore férié, la fin de la Pâque est demain soir. Donc le calme, sans bruit…
Bonne soirée et merci de ta patience.

Ychaï

J'ai d'autres prénoms que tu peux choisir et mettre des couleurs selon les catégories et le classement de nos courriels.
Par exemple. Roger = noir
Ychaï = bleu
Emile = vert
Haïm (les vies) = orange
Naturellement, ce n'est qu'un exemple, tu es libre de choisir.
A bientôt


20 avril 2014 Roger

Chère Anne,

Si je veux écrire cette nuit à cause de l’insomnie ou du trop plein de choses à écrire, je garderai ces mots pour te les envoyer dans un seul courriel demain.
Ha ! Ha ! Ha !
Mais je suis d'accord pour une des solutions que tu as proposées hier.

Le « blog » ?

Emile


J'ai oublié la photo qui ressemble au Cap Falcon.

Amitiés. 

En lice comme haute lice ou basse lice.
1.     (Tapisserie) Sorte de tapisserie dont la chaîne est tendue verticalement sur le métier.
2.     (Nom 1) Du francique *līstia « bord, bordure » (cf. néerlandais lijst), apparenté à l’allemand Leiste ; → voir liste.
(Nom 2) Du latin populaire *licia dérivé de lycisca → voir lyciscus (« chien-loup »).
3.     basse lice  tapisserie dont la chaîne est tendue horizontalement sur le métier.


20 avril 2014 Anne

Roger,

Je ne suis vraiment pas bien aujourd'hui. Je dors.

A demain.

Le « blog », finalement, je ne crois pas que ce soit une si bonne idée, il y a une idée de perfection qui fait qu’on n’est jamais content, et ça entrave la liberté. Mais il faut au moins sauvegarder ces textes quelque part. Un fichier texte fera l'affaire. Je te charge de tisser nos mots.
Je suis désolée, je suis sous calmants forts.


19 avril 2014 Roger

Chère Anne,

Ayant écrit, que je n'étais jamais retourné en Algérie, après mon départ en mil neuf cent cinquante six, je me suis souvenu que ce n'était pas vrai.
Après une année à Strasbourg et une autre année à Paris où j'ai rencontré mon ami, André H. Sur ses conseils, je suis rentré à Oran pour finir mes études. J'avais été obligé de les arrêter, ayant été renvoyé du lycée Lamoricière, l'année où je devais passer le brevet.
Je me suis inscrit dans une école privée l’année mil neuf cent cinquante huit, au Cours Descartes.
Le propriétaire de cette école avait un nom homonyme, Benichou. Je crois que c'était la seule école privée d’Oran.
Le directeur s’appelait Gonzalez ; je l'ai rencontré quelques années plus tard, à Paris, dans un cabaret argentin où je jouais de la guitare.
Je jouais des compositions et des arrangements de Atayualpa Yupanqui qui vivait à Paris.
Monsieur Gonzalez était très sympathique et m'a raconté son histoire. Il était parti de cette école et d'Algérie peu de temps après moi, avec une élève que j'avais connue. Elle faisait tout son possible pour ressembler à Brigitte Bardot.
Il avait quitté femme et enfants pour elle.
Je suis resté un an dans cette école, je n'ai pas passé mon brevet, mais je me suis fait un ami : Monsieur Jacques Ubaud, qui venait de Marseille et enseignait le français.
J'aimais beaucoup sa façon d'enseigner, car il pratiquait les méthodes orales et ne faisait pas écrire. Je me vois et m'entends, debout dans la classe, improvisant une dissertation sur le sujet demandé. 
J’étais très heureux d’être dans sa classe. Je l'ai invité et lui ai fait un repas dans l'appartement de mes parents quand ils n'étaient pas là. Je lui dois la connaissance de quelques auteurs, en particulier les poésies de Federico Garcia Lorca, que j’ai apprises par cœur, et pouvait les réciter en espagnol.
Il me parlait de l'art de la corrida. C'est avec lui que j'ai vu la seule corrida de ma vie. 
Cette amitié a duré un an. Il est rentré chez lui à Marseille et je suis revenu à Paris.
Nous avions entretenu une correspondance pendant quelques temps. Je ne l'ai plus revu, mais j'ai encore son adresse.
J'avais, cette même année, mil neuf cent cinquante huit, retrouvé mon ancien instituteur, rencontré au Conservatoire de Musique.
Il était devenu professeur de piano, après avoir été instituteur, dans une de mes classes préparatoires avant mon entrée en sixième au lycée.
J’étais souvent chez lui, et je lui dois la rencontre avec Mozart, André Gide et d'autres auteurs.
Il s'appelait Pomey, avait été marié et avait des enfants avec qui, il correspondait avec eux non par lettres mais par bandes magnétiques, les premiers magnétophones ayant fait leur apparition. 
Je dois à Monsieur Pomey, l'approche de la musique classique et de la littérature et une manière de voir les rivages des plages des côtes algériennes. 
Nous faisions de longues randonnées dans les dunes à quelques kilomètres d'Oran et nous passions des journées entières sur les plages lisant ou commentant des auteurs.
J'ai oublié les noms des autres écrivains qu'il lisait à voix haute, je me souviens seulement de André Gide.
J'ai retrouvé les impressions de ces journées en lisant Albert Camus.

A bientôt la suite.




Chère Anne,
Merci pour ce long mail.
Il y a quelques jours, une semaine, je voulais te raconter, que, il y a longtemps, Place des Vosges, dans le quartier du Marais, où nous jouions avec mes élèves, notre rencontre avec Paco Ibanez qui s'est arrêté longuement pour nous écouter et est venu me parler à la fin de notre petit concert.
Je l'ai revu quelques petites fois après.
Les fils se tissent sur la trame.
Je n’étais pas très content de mon courriel, j'étais triste et malade. 
Je suis allé m'allonger sur le dos en écoutant « Youtube » sur ma tablette.
Une émission des racines du ciel sur Rudolf Steiner.
Rudolf fait partie de ma vie depuis que mon studio est partagé avec une école de danse qui a pris le nom « Orphéus », danse Eurythmique.
Je ne suis pas en bonne forme parce que je me suis tordu le dos hier en travaillant sur ma fresque.
Court courriel pour ne pas encombrer ta boite et parce que c'est le deuxième aujourd'hui.
Si, dans tes recherches sur l'Algérie, tu trouves des informations sur une tribu berbère, qui s'est convertie au judaïsme, avec pour Reine, la Kahana.
Je descends par mon père de cette tribu et par ma mère de juifs espagnols expulsés de Barcelone en mil cinq cents, par la reine Isabelle « la Catholique ».
Le nom de jeune fille de ma mère est Sportes, Barcelone ayant six portes d'entrées (« Sasportas », « Chicheportiche » désignant les exilés, venant de Barcelone).
Ces juifs ont atterri en Algérie, au moment de la conquête d'Algérie par les français qui avaient ouvert la frontière entre le Maroc et l'Algérie.
Ce qui fait que j'ai mis cinq cents ans pour arriver de Barcelone à Oran.

Excuse-moi mais je voulais faire court.
Bonne soirée.


19 avril 2014 Anne

Cher Ychaï,

Ton récit me ravit, complétant par petites touches ce que je sais déjà.

Ma scolarité fut chaotique. Renvoyée du lycée en fin de 3ème, avec quand même un joli palmarès, 5 Conseils de Discipline.
Le premier en 6ème, j'avais dix ans, pour un 0 maquillé en 6 sur mon carnet de notes.
« Passer en Conseil », comme on disait, relevait d'une forme de Cour de Justice. Après avoir subi la convocation dans le bureau du Censeur, l'annonce de la découverte de ma falsification, l'angoisse au ventre dans l'attente du courrier envoyé aux parents et leurs réactions, je me retrouvais désignée du doigt à la face publique.
Dans la cour, un panneau vitré était dédié aux récompenses des élèves, et il avait son pendant, celui des fauteuses de troubles.
Chaque Conseil de Discipline y était annoncé, les malheureuses élues, nommées, ainsi que leur forfait. Les condamnations rajoutées ensuite.
La partie administrative de ce Lycée qui était l’un des plus important de la ville, se trouvait dans ce qui fut un bel hôtel particulier du XVIIIème siècle.
Je revois cet escalier, majestueux, dont, la première fois, je montais chaque marche le plus lentement possible, sans que rien ne vienne empêcher que je n'arrive en haut. Je n'ai pas gardé en mémoire les détails de ces procès, excepté l'argument mis en avant par l'élève qui me servait d'avocate. « Elle a fait un 6, elle aurait pu faire un 9 ! ».
Je crois que j'ai dû penser « faut pas exagérer quand même, personne n'y aurait crû ! » Mais l'argument a porté, je m'en suis tirée avec la peine la plus faible, un avertissement.

En fait, je crois que j'étais plutôt fière, voire flattée d'être montrée du doigt ainsi, surtout que l'opprobre n'avait pas court entre élèves.
C'était en famille que c'était pénible.
Les 4 Conseils suivants, pour indiscipline, j'y allais blasée. Ils n'étaient que des jalons, comme des bornes kilométriques, sur le chemin d'une enfant qui avait fait sa place parmi les autres, n'ayant pas trouvé d'autres solutions, en les faisant rire. J'étais nulle en tout, mon énergie entièrement mobilisée par ce constat, ma mère aimait ses quatre autres enfants et pas moi. 
J'organisais ma survie. Mentir, voler, espionner, fouiller. Et c'était une spirale infernale, j'aggravais sans cesse la situation, devenant tous les jours un peu plus, le mouton noir de la famille.
J'encaissais les coups, mon père ayant fait sienne cette devise, « Qui bene amat, bene castigat ».
Le souvenir le plus dur, des vacances de Noël au ski, privée de ski, privée de cadeaux. Me sentir seule au monde, réfugiée dans la chambre glaciale où ne parvenait pas la chaleur du poêle, juste les rires joyeux de cette famille qui était la mienne, dont j'étais exclue. Et subir cette comédie de faire comme si rien ne se passait. C'était d'une violence inouïe.
Avant nous avions passé la veillée chez le Père Rebattu, l'épicier du village qui nous louait l'étage d'une maison voisine. Lui et sa femme étaient l'antithèse de mes parents. Ils avaient dix-sept enfants, et quand il y a de l'amour pour un, il y en a pour tous, et pour les sept que nous étions aussi. Ca débordait de bonne humeur, un brouhaha constant de rires, j'aurai voulu rester là.
Tous nous étions allés ensemble à la Messe de Minuit. La nuit, la neige qui tombait, la ferveur dans cette petite église, les embrassades et les « joyeux Noël »… Je m'étais laissée envahir par la magie de ce moment.
Il y a quelques années, mon plus jeune frère m'a raconté son Noël sans cadeaux, à lui. Jusqu'à la dernière minute, il a cru à une simple menace. Et le monde s'est écroulé. Il ne s'en est jamais remis.
Moi ce soir-là, j'ai eu envie de mourir. Mais contrairement à lui, j'avais une force intérieure qui n'a pas cédé. Il m'a fallut des années, presque 50 ans, pour que je la libère, mais tout le temps de mon analyse, je savais que j'y arriverai.

Je suis très loin de ce que je voulais écrire, après le Lycée j'ai terminé ma scolarité dans un cours religieux privé, fréquenté par la vieille bourgeoisie marseillaise. Les élèves étaient filles d'anciennes élèves… Les « étrangères » comme moi, ne rentraient pas dans ce cercle. Nous n'avions aucun point commun, j'étais pauvre et regardée de haut.
Les professeurs, étaient pour la plus part d'anciennes élèves.
Sauf Madame B., notre prof d'espagnol, qui avait fui le franquisme, et je crois, détestait ce milieu, ces élèves dont les parents étaient médecins, pharmaciens, industriels ou avocats et qui n'auraient aucune difficulté à en faire autant.
Et elle avait pour moi une indulgence qui me touchait, car j'assistais aux cours et je ne faisais rien.
C'est grâce à elle que j'ai découvert Garcia Lorca. Elle nous a passé en classe, le disque de Paco Ibanez, et ce fut un choc. Il y a tout un pan de mon histoire lié à ce disque, mais une autre fois.
J'ai cherché à retrouver cette femme que j'ai comprise beaucoup trop tard. Je voulais lui dire ma gratitude. Mon échec m'a consternée. Je savais que son fils était champion de natation, elle en parlait parfois avec beaucoup de fierté. Mais ce devait être un champion local, je n'ai pas retrouvé sa trace non plus. Sans doute était-elle morte. J'espère que mes pensées ont trouvé leur chemin vers elle.

Garcia Lorca est entré dans ma vie, et n'en est plus sorti. C'est une sorte de frère qui m'a accompagné, toujours.

Aujourd'hui, dans le rituel du coucher de S., deux chansons de Paco Ibanez. J'ai passé le relais, Federico fait partie de sa vie, associé à toutes les bougies que l'on allume avant d'éteindre la lumière. Ce moment qu'elle a résumé très vite, vers un an, « beau ». Maintenant elle ajoute d'autres mots, mais l'émerveillement est le même. Une chanson argentine, celles de Federico, une petite histoire en espagnol où elle tient sa place. Parfois je prolonge avec les vieilles chansons françaises qui ont bercé ses premiers jours.
Et puis au lit.
Elle souffle les bougies, sauf une. Celle qui par sa chaleur fait tourner un petit carrousel d'anges, qui m'a rendue folle de joie lorsque je l'ai trouvé. Quand j'étais enfant cela existait déjà, inspiré de la fête de Sainte Lucie des pays néerlandais. C'est en décembre, la Fête de la Lumière. Des fillettes symbolisant Sainte Lucie, portent, sur leurs cheveux blonds comme les blés des couronnes ornées de bougies allumées.
Et les petits manèges d'anges de mon enfance tournaient au dessus de 4 bougies rouges. Ils sont devenus introuvables, trop dangereux sans doute.
Mais avec S. on aurait fait très attention, c'est sûr.
Avant que je n'éteigne la dernière bougie, elle s'allonge et je lui demande avec qui elle veut dormir, elle entasse entre ses bras, chat, ours, bébé, doudou, girafe. La dernière fois, pendant que je chantais, elle a trouvé à côté d'elle une paire de mes chaussettes. Depuis elle dort avec. Elle a hérité de tous les jouets d'A. Dont une toute petite poupée, un peu gribouillée au feutre, et des paillettes collées sur le visage. Elle fait partie des préférées. Elle l'appelle « Gaga ». C'est mon nom.
J'ai refusé d'entrer les surnoms traditionnels dans lesquelles je ne me reconnais pas. J'ai choisi « Gatita ». J'ai d'abord été « gue », puis « guegue », enfin « Gaga ». Et j'adore.

                                                                            
L'idée entre nous c'est ça. Tu racontes. Forcément je pense à quelque chose et je raconte aussi. Et toi en lisant, tu auras aussi une réaction. Ou bien tu passes à autre chose.
C'est rare de rencontrer quelqu'un avec qui cet échange puisse exister.
A vrai dire tu es le premier, parce que jusqu'à maintenant nous n'avons rien vécu ensemble, donc tout peut se dire.
L'incohérence n'est qu'apparence.
Nous tirons des fils, ils tissent quelque chose.
L'un est la trame, le fil horizontal, l'autre est la chaîne, le fil vertical.
Les deux rôles sont interchangeables, c'est dire à quel point le tissu qui va s'élaborer tracera non pas nos vies en parallèles, mais entremêlées.

C'est la raison pour laquelle il ne faut pas nous commenter, cela arracherait un fil, et c'est très dur de continuer à tisser avec un fil absent.

Anne


17 avril 2014 Roger 11h00

Jérusalem, le dix sept avril deux mil quatorze vers onze heures.

L'émotion de celui qui te lit ne peut s’écrire, ni se dire.
Chaque lecture est un affluent qui ne sait pas qu'il se dirige vers le fleuve.

Ici, il commence à faire chaud.      
Jérusalem est presque vide.
Les israéliens religieux se promènent dans le pays.
Les israéliens non religieux fuient dans d'autres pays.
Le pain non levé de la Pâque provoque une hystérie.
Nettoyage, les rues sont pleines de choses jetées avec lesquelles on pourrait remeubler des appartements entiers.
Avec la chaleur, les femmes se sont dénudées très vite.
Le dos nu, un petit tricot partant un peu au-dessus des seins et s'arrêtant plus bas que le nombril.
Un espace pour voir la peau.
Un petit pantalon court moulant qui commence très bas et s’arrête quelques centimètres après.
Au bout des jambes nues, des semelles en plastic coloré, avec deux petits cordons qui passent pour les tenir entre le gros orteil et l'index des pieds. 
Cette mode commence à partir de trois ans jusqu'à quarante ans.
Les visions  des collants noirs très moulant se font rares à cette époque.
Les pensées qui montent et tourbillonnent dans la tête en marchant, s'oublient devant l'écran. Il faudrait pourvoir écrire en marchant et en dansant.
L'oubli n'est pas triste, mais regrettable. Penser à la réception.
Recevoir cette écriture de l'oubli. Est-ce une nouvelle vie ?
Vie de savoir que cette lecture est et vient de la pensée de l'autre.
Un pantalon indonésien orange pour aller à un mariage anthroposophe, façon Rudolf Steiner.
Dans une belle campagne et avec un buffet sur des nappes rouges.
Pas de regrets d'y avoir assisté.
Pouvoir écrire à la main sur des papiers de soie.
Imagination de la roulotte d'une chanteuse espagnole chantant dans les bois des chansons anti-franquiste.
Voir les verts des arbres de la forêt du Tarn.
Chercher à résoudre le problème de l'ordre, mais savoir  ne pas classer, du chaos peut naître l'imprévisible.
Ne pas prévoir pour se laisser surprendre.
Ne pas prendre mais accueillir.
Chercher un visage à travers l'écriture, lire dans ce visage les rides comme des lignes.
Entre les traits des lèvres et des yeux, un paragraphe, le dernier chapitre, le dernier chapitre n'est que le début d'un autre livre.
Sentir que lire est toujours lire le même livre.
Livre qui est écrit et réécrit et toujours nouveau.
Est-ce que aimer, c'est aimer la même femme ?
Miracle de savoir regarder de nouveau, mais à chaque fois nouveau. 
L'émotion de lire, de te lire.
Lire, dire, écrire.
Rester en silence et écouter la résonance.


Le son de la lettre.
L'être sonne.
Entendre les cloches des églises à Jérusalem, en même temps que l'appel des muezzins, tressés avec le murmure incessant de l'étude du Talmud. 
Un appartement à côté du boulevard allant à Hébron, le balcon qui donne sur un pont blanc, où un jardinier arrose ses fleurs pour la première fois.
Entre, encore entre, le boulevard qui va à la « Maison du Pain ».
Le tombeau de Rachel qui annonce Bethléem. 
Être là, entre, encore entre, une table  pour peintre, un appareil multimédia et deux guitares, deux tambours calices et des huiles essentielles.
S’asseoir pour écrire l'envoi vers.



18 avril 2014 Roger

Bonsoir, Anne,

Il n'y a pas de problème.
Je me cherche à écrire et ne cherche pas le but.
Et si j'ai dépassé ou exagéré les compliments, ce que je fais souvent, je crois que cela fait partie des moments « high » que me procure la lecture de tes courriels, liée à l'augmentation du Lamictal.
Je ne suis pas blessé.
Mais, tes courriels et ce qu'ils contiennent font que les mots et les idées tournent dans la tête.
Considère que je cherche la forme. 
Je n'ai pas pensé, ni au piédestal, ni à ton ego, mais je me suis laissé à essayer d'écrire ce qui venait à l'esprit.
Je respecte ce que tu as écrit dans ce courriel et en tiendrai compte.
En m'excusant, je suis content de ce qu'il contient. Tes remarques et tes conseils étant précieux.

Quand à mes adresses, je cherche à les mettre en ordre. 
Je te souhaite une bonne soirée.

Ton ami Ychaï.

P.S. :
Je note avec attention toutes tes remarques.

Je ne sais pas si je t'ai envoyé le dernier texte sur les vagues ?


18 avril 2014 Anne

Bonjour Ychaï,

Il faut que tu arrêtes de me mettre sur un piédestal.
Par rapport à l'écriture, je n'ai pas d'ego, parce que je sais la valeur de ce que j'écris.
Pour moi qui vois les mots s'aligner, et j'en suis la première lectrice, et pour la personne à qui j'écris.
Ces retours me gênent, et aussi l'évocation de ce que je dis.
Une lettre, c'est un tout, une fois partie, il peut m'arriver de la relire, mais je n'aime pas qu'elle soit commentée. Cela risque de tarir la source.
Comprends-tu ? Ne sois pas blessé.
Tout ce que tu ressens à me lire, note-le, pour toi.
Mais tes réponses ne peuvent venir, parfois sans avoir aucun lien apparent avec ce que j'ai évoqué, que de l'intérieur de toi.
C'est là qu'est le vrai lien, débarrassé du superficiel. Où on touche au plus profond.

Je n'ai pas très bien compris tes nouvelles boîtes aux lettres.
Si tu veux réserves-en une à notre correspondance.
J'en choisis une, la plus neutre.
Je t'écris plus tard, ami, à qui je serre la main.




17 avril 2014 Roger

Mon doigt a fait une erreur.
Comme tu me l'as demandé, je voulais faire un seul mail.
Merci de ta patience.

Ychaï.



Bonsoir, Anne.

Un silence devant tes mails.
Silence de respect et de plénitude.


16 avril 2014 Roger

Anne,

Merci,
Je t'écris un peu plus tard, plus calmement et prenant le temps de lire ton dernier mail plusieurs fois.
Les fils de Stéphane Hessel sont mes amis. L’aîné est aussi mon cardiologue. Nous avons passé des vacances ensemble à Malte, je ne souviens pas exactement quand, peut-être il y a cinq ou six ans.
Amitiés vraiment.

Roger




J'ai reçu ce mail après avoir envoyé mon mail de la peur,
Je sors en tenant ma « main tenant » (un peu mauvais).


Chère Anne, 

Je voulais t'envoyer un petit mot tout de suite quand j'ai pensé que tu étais une virtuose, mais, ayant reçu des messages d'erreur que je n'ai pas bien su gérer, mon compte « Gmail » ne marchait  plus.
J'ai eu peur, alors ils m’ont écrit de réinitialiser, ce que j'ai fait, mais j'ai eu peur d'avoir oublié ce qui m'était venu à l'esprit et que je voulais de dire.
Que mon admiration, en plus de te sentir, écrivaine, est de te sentir comme une pianiste, Martha Arguerich par exemple. 
Car pour moi, même quand tu écris ces conseils merveilleux, savoir que tu écris avec un doigt  et la main (j'espère l'autre) appuyée sur la joue contre la paume, image qui m'a ravi. J'écoute dans tes mails, une virtuosité et une sensibilité musicale, un Bach numérique, transformant le numérique en une « Offrande Musicale ».

J'ai eu peur parce que depuis plusieurs jours, « Netvision » m'envoie un message d'erreur que j'ai voulu régler et qui a coupé mon compte « Gmail ».
J'ai commencé l'étude que tu m'as conseillé, en étant « boosté » (langage informatique) par l'énergie et la clarté de tes explications.
J'espère continuer d'apprendre. 
J'ai trouvé le passage pour organiser les fichiers, dans un « PDF » téléchargé, et que je n'ai pas bien compris « déjà ».
J'écrirai plus tard après deux rendez-vous amicaux. 

Mes amitiés attentives.