jeudi 1 septembre 2016

10 decembre 2014 Roger

Le dix décembre deux mil quatorze à trois heures quinze. Jérusalem.

Suite de Frédé.

AnneAnne,

Je me suis levé tôt, ne pouvant plus rester au lit.

Je garde encore des images de la vie commune avec F., un peu en désordre.
Les appartements où nous avons vécu, les quelques voyages faits ensemble.
Un séjour à Arcachon, dans la maison de sa grand-mère. Un voyage dans une île, en hiver, où nous avons habité dans un hôtel vide, fenêtres sur la mer.
Le séjour très court à Nice qui annonçait notre séparation.
L'arrivée à Paris de Sylvie, qui deviendra la compagne de Dadou.
Sylvie avait fait ses études en Amérique. Son père était un réfugié chinois venu en France au début du communisme, sa mère juive, née en Russie était traductrice. Sa mère vivait en Suisse.
Sylvie, effectuant son retour en France, après avoir fini ses études en Amérique, nous avait demandé de lui trouver un studio à Paris. Nous lui avons trouvé ce petit appartement. Il se trouvait dans une rue parallèle, rue Pecquai, je ne suis pas sûr de l'orthographe. La rue Pecquai donnait dans la rue des Archives, comme la rue du Plâtre,
Elle cherchait aussi du travail.
Nous lui avons présenté mes amis, Loulou, Dadou, la sœur de Dadou, Lina.
Cette dernière lui avait trouvé une place dans la Galerie Maegth. Lina travaillait dans cette galerie depuis plusieurs années. Elle avait erré de place en place comme secrétaire dans Paris, en quittant Tunis.
La rencontre entre Sylvie et Dadou se fit dans ma « quatre chevaux ».
Cette voiture était revenue de Hongrie, en mil neuf cent soixante neuf.
Miki m’avait accompagné. Nous sommes passés par l’Allemagne, où Miki avait été invité à faire un « happening ».
Iona, la première épouse de Dadou se trouvait aussi dans la voiture. Je ne me souviens pas très bien si le quatrième passager était Lina ou F..
Iona me raconta plus tard, après sa séparation d’avec Dadou, qu'elle avait anticipé et compris que son union avec Dadou se terminerait bientôt, ayant surpris un regard de Dadou vers Sylvie.
Dans ma naïveté, je ne m'imaginais pas ce dénouement. J’avais connu Dadou et Iona à leur arrivée à Paris avec leur fille aînée Clara et les jumelles. Elles étaient très jeunes. Je leur donnais le biberon à tour de rôle. Je les visitais souvent. Leur appartement, impasse Voltaire, était très sombre. Clara venait avec moi tous les jeudis à la « Schola Cantorum » où elle passait l'après midi à me voir enseigner en admirant la beauté de mes élèves, surtout mon élève préférée, Claire Antonini. J'enseignais aussi la guitare à Clara, finissant mes cours, je la raccompagnais chez ses parents en Métropolitain. Elle n'aimait pas la sortie du métro que je prenais pour l’accompagner à son appartement. Elle était en colère contre moi car ce n'était pas sa sortie préférée. Elle m'a rappelé cet épisode dernièrement. Je lui avais demandé, pour m’aider dans ma chronologie, de préciser et de clarifier ce moment où elle venait avec moi à la « Schola Cantorum », le jour de congé de son école, qui devait être le jeudi.
Ma vie avec F. était joyeuse et mouvementée. Elle s'était bien intégrée dans le groupe d'amis tunisiens. Elle me traînait chez ses parents, bourgeois de Saint Germain en Laye. Je la traînais chez mes parents bourgeois du Kremlin Bicêtre.
Mon père, malade était à l'hôpital. J'étais angoissé. J'avais peur de sa mort.
Je voulais lui annoncer mon mariage avec F. à l'hôpital.
Etait-ce que je voulais lui montrer que j'étais capable de me marier ?
La même réaction avec Messodi eut lieu quand mon père entra à l'hôpital de mon père pour l’amputation de sa jambe.
Je me souviens de la visite avec F. pour annoncer notre décision de nous lier. Je ne souviens pas si j'ai eu le courage de le faire. Je me pose la question jusqu'aujourd'hui : est – ce que je la lui ai annoncée ou non ?
Je ne me souviens pas comment nous étions arrivés à cette décision de mariage avec F. Quels ont été nos dialogues à ce sujet ?
La tension qui existait entre nous venait de son ambition ; je ressentais une pression, je résistais, ne voulant pas être entraîné dans sa conception de l'art et de la carrière artistique.
J'ai beaucoup réfléchi sur mon comportement et sur ma critique à son égard. Je doutais de sa véritable aptitude à la création artistique.
Les tableaux, que j'ai vus chez elle il y a deux ans, ont confirmé mon diagnostic. Ai- je vu suffisamment clair ? N'ai-je pas été trompé par ma rigidité ?
A avoir trop peur de la séparation, n'ai-je pas provoqué cet acte par ma jalousie extrême et mon aveuglement ? N'ai – je pas su où était la frontière entre une relation amoureuse et l'amitié ? N’ai – je pas été troublé par le fait d'avoir été son professeur ?
Sidi m'a souvent reproché de ne pas savoir me comporter en maître, par exemple maître de musique par rapport à mes élèves. Le groupe que j'avais formé avec mes meilleurs élèves a été dissous. J'ai senti avoir fait une faute, celle, d'abord inconsciente, d'avoir considéré mes élèves comme mes enfants. J'ai dissous le groupe. Pour garder une trace de nos relations, j'ai fait un disque avec eux et mon cousin Louis. Il y a dans ce disque des transcriptions de musique baroque, de pièces de Bartok, une composition que j’avais écrite pour la musique du film « le Château de Nulle Part ». C’est aussi une empreinte des années de la vie que nous avions construite en habitant ensemble rue de Picpus, proche de la Place de la Nation.
Nous avions essayé de vivre en petite communauté. Dans ce but de vivre ensemble, avec pour centre la musique, nous avions loué un appartement, seize rue de Picpus.
J’avais pensé, expérimenté, l’idée d'une communauté où l'art et la vie seraient entremêlés.
Ingrid, My Yong, Claire, Bruno étaient des résidents permanents, d'autres élèves venaient dans l’appartement pour jouer de la musique avec nous. Nous organisions aussi des concerts et invitions des amis comme public.
Tous les jours, deux ou trois heures, je leur enseignais. Ils continuaient leurs études musicales à la « Schola Cantorum ».
Nous recevions et logions certains musiciens indiens de nos connaissances venant à Paris pour des concerts.
Ces années – là, mon rapport avec les musiques orientales était très intense.
Ingrid a rencontré son mari ayant reçu un des plus grands poètes hongrois contemporain, recommandé par Miki. Il a logé chez nous quelques mois. Ils se sont mariés en Hongrie. A la mort de Pilinski Janos, Ingrid est revenue à Paris.
Je n'ai jamais eu le sens des frontières.
Frontières entre élève et professeur, élève et enfant, amour et amitié.
Peu à peu, lentement, j'ai compris mes erreurs et mes défauts en subissant des chocs provoqués par ces expériences. Ces douleurs m’ont conduit à réfléchir, cherchant en moi les causes. Je me suis décidé après mon départ de France à faire une l'analyse avec le Docteur… ?
Ai-je changé ? Peut-on changer ?
La vie, rue de Picpus, s'est terminée en mil neuf cent soixante dix huit ou soixante dix neuf. L’année mil neuf cent soixante dix neuf mon père est mort. J'ai abandonné l’appartement de Picpus et démissionné de mes tâches de professeur.
Je suis partir vers le sud, Marseille et Cassis, pour trouver un chemin de ressourcement devant et à côté de la mer.
Ma mer.
Je ne voulais pas rester seul avec ma mère, veuve, continuant à vivre, au cinquante deux, avenue de Fontainebleau, au Kremlin-Bicêtre.
Pendant ce séjour méditerranéen, mes rencontres m’ont fait espérer un exil au Canada.
A mon retour à Paris en mil neuf cent quatre vingt un, j’ai rencontré au centre Rachi David Z., qui m’a demandé de venir le voir. David était l’ami de Guy Elyahou A. Ils avaient le projet de monter en Israël pour aider les enfants. Ils se proposaient de faire une école itinérante. Il m’a demandé de participer à ce projet en tant que professeur de musique. C’est une des raisons qui ont travaillé pour mon départ en Israël.
AnneAnne,
Bonjour, il est quatre heures quarante cinq.
Je te souhaite, un lever radieux avec toute mon affection amicale.
Ychaï.

Roger Bénichou-YchaÏ


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