Le dix décembre deux
mil quatorze à trois heures quinze. Jérusalem.
Suite de Frédé.
AnneAnne,
Je me suis levé
tôt, ne pouvant plus rester au lit.
Je garde encore des
images de la vie commune avec F., un peu en désordre.
Les appartements où
nous avons vécu, les quelques voyages faits ensemble.
Un séjour à
Arcachon, dans la maison de sa grand-mère. Un voyage dans une île, en hiver, où
nous avons habité dans un hôtel vide, fenêtres sur la mer.
Le séjour très
court à Nice qui annonçait notre séparation.
L'arrivée à Paris
de Sylvie, qui deviendra la compagne de Dadou.
Sylvie avait fait
ses études en Amérique. Son père était un réfugié chinois venu en France au
début du communisme, sa mère juive, née en Russie était traductrice. Sa mère
vivait en Suisse.
Sylvie, effectuant
son retour en France, après avoir fini ses études en Amérique, nous avait
demandé de lui trouver un studio à Paris. Nous lui avons trouvé ce petit
appartement. Il se trouvait dans une rue parallèle, rue Pecquai, je ne suis pas
sûr de l'orthographe. La rue Pecquai donnait dans la rue des Archives, comme la
rue du Plâtre,
Elle cherchait
aussi du travail.
Nous lui avons
présenté mes amis, Loulou, Dadou, la sœur de Dadou, Lina.
Cette dernière lui
avait trouvé une place dans la Galerie Maegth. Lina travaillait dans cette galerie
depuis plusieurs années. Elle avait erré de place en place comme secrétaire
dans Paris, en quittant Tunis.
La rencontre entre
Sylvie et Dadou se fit dans ma « quatre chevaux ».
Cette voiture était
revenue de Hongrie, en mil neuf cent soixante neuf.
Miki m’avait
accompagné. Nous sommes passés par l’Allemagne, où Miki avait été invité à
faire un « happening ».
Iona, la première
épouse de Dadou se trouvait aussi dans la voiture. Je ne me souviens pas très
bien si le quatrième passager était Lina ou F..
Iona me raconta
plus tard, après sa séparation d’avec Dadou, qu'elle avait anticipé et compris
que son union avec Dadou se terminerait bientôt, ayant surpris un regard de
Dadou vers Sylvie.
Dans ma naïveté, je
ne m'imaginais pas ce dénouement. J’avais connu Dadou et Iona à leur arrivée à
Paris avec leur fille aînée Clara et les jumelles. Elles étaient très jeunes. Je
leur donnais le biberon à tour de rôle. Je les visitais souvent. Leur
appartement, impasse Voltaire, était très sombre. Clara venait avec moi tous
les jeudis à la « Schola Cantorum » où elle passait l'après midi à me
voir enseigner en admirant la beauté de mes élèves, surtout mon élève préférée,
Claire Antonini. J'enseignais aussi la guitare à Clara, finissant mes cours, je
la raccompagnais chez ses parents en Métropolitain. Elle n'aimait pas la sortie
du métro que je prenais pour l’accompagner à son appartement. Elle était en
colère contre moi car ce n'était pas sa sortie préférée. Elle m'a rappelé cet
épisode dernièrement. Je lui avais demandé, pour m’aider dans ma chronologie,
de préciser et de clarifier ce moment où elle venait avec moi à la « Schola
Cantorum », le jour de congé de son école, qui devait être le jeudi.
Ma vie avec F. était
joyeuse et mouvementée. Elle s'était bien intégrée dans le groupe d'amis
tunisiens. Elle me traînait chez ses parents, bourgeois de Saint Germain en
Laye. Je la traînais chez mes parents bourgeois du Kremlin Bicêtre.
Mon père, malade
était à l'hôpital. J'étais angoissé. J'avais peur de sa mort.
Je voulais lui
annoncer mon mariage avec F. à l'hôpital.
Etait-ce que je
voulais lui montrer que j'étais capable de me marier ?
La même réaction
avec Messodi eut lieu quand mon père entra à l'hôpital de mon père pour l’amputation
de sa jambe.
Je me souviens de
la visite avec F. pour annoncer notre décision de nous lier. Je ne souviens pas
si j'ai eu le courage de le faire. Je me pose la question jusqu'aujourd'hui :
est – ce que je la lui ai annoncée ou non ?
Je ne me souviens
pas comment nous étions arrivés à cette décision de mariage avec F. Quels ont
été nos dialogues à ce sujet ?
La tension qui
existait entre nous venait de son ambition ; je ressentais une pression, je
résistais, ne voulant pas être entraîné dans sa conception de l'art et de la
carrière artistique.
J'ai beaucoup
réfléchi sur mon comportement et sur ma critique à son égard. Je doutais de sa véritable
aptitude à la création artistique.
Les tableaux, que
j'ai vus chez elle il y a deux ans, ont confirmé mon diagnostic. Ai- je vu
suffisamment clair ? N'ai-je pas été trompé par ma rigidité ?
A avoir trop peur
de la séparation, n'ai-je pas provoqué cet acte par ma jalousie extrême et mon
aveuglement ? N'ai – je pas su où était la frontière entre une relation
amoureuse et l'amitié ? N’ai – je pas été troublé par le fait d'avoir été
son professeur ?
Sidi m'a souvent
reproché de ne pas savoir me comporter en maître, par exemple maître de musique
par rapport à mes élèves. Le groupe que j'avais formé avec mes meilleurs élèves
a été dissous. J'ai senti avoir fait une faute, celle, d'abord inconsciente,
d'avoir considéré mes élèves comme mes enfants. J'ai dissous le groupe. Pour
garder une trace de nos relations, j'ai fait un disque avec eux et mon cousin Louis.
Il y a dans ce disque des transcriptions de musique baroque, de pièces de
Bartok, une composition que j’avais écrite pour la musique du film « le
Château de Nulle Part ». C’est aussi une empreinte des années de la vie
que nous avions construite en habitant ensemble rue de Picpus, proche de la
Place de la Nation.
Nous avions essayé
de vivre en petite communauté. Dans ce but de vivre ensemble, avec pour centre
la musique, nous avions loué un appartement, seize rue de Picpus.
J’avais pensé,
expérimenté, l’idée d'une communauté où l'art et la vie seraient entremêlés.
Ingrid, My Yong,
Claire, Bruno étaient des résidents permanents, d'autres élèves venaient dans
l’appartement pour jouer de la musique avec nous. Nous organisions aussi des
concerts et invitions des amis comme public.
Tous les jours, deux
ou trois heures, je leur enseignais. Ils continuaient leurs études musicales à
la « Schola Cantorum ».
Nous recevions et
logions certains musiciens indiens de nos connaissances venant à Paris pour des
concerts.
Ces années – là,
mon rapport avec les musiques orientales était très intense.
Ingrid a rencontré
son mari ayant reçu un des plus grands poètes hongrois contemporain, recommandé
par Miki. Il a logé chez nous quelques mois. Ils se sont mariés en Hongrie. A
la mort de Pilinski Janos, Ingrid est revenue à Paris.
Je n'ai jamais eu
le sens des frontières.
Frontières entre
élève et professeur, élève et enfant, amour et amitié.
Peu à peu,
lentement, j'ai compris mes erreurs et mes défauts en subissant des chocs provoqués
par ces expériences. Ces douleurs m’ont conduit à réfléchir, cherchant en moi les
causes. Je me suis décidé après mon départ de France à faire une l'analyse avec
le Docteur… ?
Ai-je changé ?
Peut-on changer ?
La vie, rue de
Picpus, s'est terminée en mil neuf cent soixante dix huit ou soixante dix neuf.
L’année mil neuf cent soixante dix neuf mon père est mort. J'ai abandonné l’appartement
de Picpus et démissionné de mes tâches de professeur.
Je suis partir vers
le sud, Marseille et Cassis, pour trouver un chemin de ressourcement devant et
à côté de la mer.
Ma mer.
Je ne voulais pas
rester seul avec ma mère, veuve, continuant à vivre, au cinquante deux, avenue
de Fontainebleau, au Kremlin-Bicêtre.
Pendant ce séjour méditerranéen,
mes rencontres m’ont fait espérer un exil au Canada.
A mon retour à
Paris en mil neuf cent quatre vingt un, j’ai rencontré au centre Rachi David
Z., qui m’a demandé de venir le voir. David était l’ami de Guy Elyahou A. Ils
avaient le projet de monter en Israël pour aider les enfants. Ils se
proposaient de faire une école itinérante. Il m’a demandé de participer à ce
projet en tant que professeur de musique. C’est une des raisons qui ont
travaillé pour mon départ en Israël.
AnneAnne,
Bonjour, il est quatre
heures quarante cinq.
Je te souhaite, un
lever radieux avec toute mon affection amicale.
Ychaï.
Roger Bénichou-YchaÏ
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire